« Ceci est ma ferme » de Chris de Stoop.

 

Chris de Stoop est une personnalité connue du monde flamand. Grand journaliste, il s’illustra par ses reportages aussi engagés que risqués sur la « traite des blanches », sur les phénomènes migratoires clandestins ou sur la première femme occidentale ayant perpétré un attentat-suicide en Irak. Ici, sous des abords paraissant d’emblée strictement personnels, il nous propose le récit de son retour dans la ferme familiale, après le placement de sa mère dans un institut de soins et le suicide de son frère.

La Flandre dont nous parle Chris de Stoop est celle des polders, la Flandre profonde, agricole, rurale, encore très marquée de son empreinte catholique, attachée à sa terre et à ses bêtes. Un bout de Flandre qui disparaît peu à peu sous les coups de butoir conjoints de l’industrialisation tentaculaire du port d’Anvers et du « retour à la nature » prôné par une certaine idée de l’écologie.

À un bon kilomètre d’ici, se trouvent une douzaine de panneaux qui signalent pourquoi nous devons attribuer une telle valeur à cette région ; ils indiquent ce qu’il faut regarder et expliquent ce qu’on voit. Leur présence fait de moi un passant, un spectateur, et du paysage un décor, comme dans un film de Disney.

Pour chaque parcelle de terrain concédée au projet de développement du port d’Anvers en est concédée une autre à la défense de l’environnement. Entre les deux logiques, qui se rejoignent finalement très bien, le paysan flamand se retrouve souvent dépossédé, en sus de ses terres, de son histoire, de sa raison d’être et même de celle d’avoir été. Il est nié. Dans son désir de « rendre à la nature » des terres – la dépolderisation est devenue un processus d’ampleur – la logique environnementale est ici devenue folle. Expulsant l’homme de la nature, elle fabrique sur les bases aujourd’hui décriées de la séparation nature/culture, une nature bien plus artificielle que celle qu’elle vise à remplacer. Plutôt que se fier aux savoirs qui s’étaient forgés au contact d’un territoire, des écologistes hors sol appliquent à celui-ci des principes de laboratoire. Et rien n’y fonctionne plus. L’homme en est exilé, souvent aux prix de terribles drames. Et la « nature », forcée, tourne sot.

Mais quelle est cette vision d’une nature dont l’homme ne ferait pas partie, mais lui serait plutôt étranger?

Pour qui lirait ce livre sans connaitre le contexte de la gestion écologique flamande, Chris de Stoop pourrait apparaître comme un contempteur farouche de l’écologie. Il n’en est rien. Comme il ne s’oppose pas non plus à une lutte environnementale radicale. Ce qu’il décrit et dénonce avec force c’est l’absurdité inhumaine – vraiment « inhumaine », c’est-à-dire dont l’homme a été décrété par principe indésirable –  d’une nature pensée comme devant se priver, pour fonctionner, d’une de ses parties essentielles. Une « nature » de démiurge, sans savoirs mais abreuvée de science, plus artificielle que les terrains industriels auxquels elle est censée donner un répondant. Une nature anthropomorphe mais qui refuse l’homme.

Chris de Stoop, Ceci est ma ferme, 2018, Christian Bourgois, trad. Micheline Goche.

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