« Cendres des hommes et des bulletins » de Pierre Senges et Sergio Aquindo.

 

 

CENDRES

 

C’est ainsi, l’âme contient quelque part entre le mors et la queue l’énigme de la légitimité des princes.

Il existe une oeuvre de Breughel, exposée au Louvre, qui, depuis toujours, laisse perplexe qui cherche à en saisir les significations. Figurant cinq estropiés affublés d’étranges couvre-chefs et de queues de renard, avec un personnage de profil en retrait (une femme selon la plupart), tenant dans ses mains un objet non identifié (une sébile selon beaucoup), le tout baignant dans des teintes lumineuses qui contrastent avec le sujet miséreux, sa très petite taille n’a d’égale inverse que le mystère qui en émane. Et qui dit mystère dit invite à l’investir!

Sergio Aquindo s’y colle côté images. Pierre Senges versant textes. Sans jamais vouloir s’illustrer l’un l’autre, ils se penchent chacun sur les énigmes qu’éveillent en eux ces étranges personnages. Et construisent, pas à pas, traits après traits, moins une signification originelle – qui retrouverait, ô désir illusoire, la volonté du peintre – qu’une suite de variations autour d’eux.

Et si ce n’était pas Silvano Piombo, ce niais, qui devait accéder au trône papal en cet an de grâce 1455, mais bien Salvatore Pombo qui, c’est un euphémisme, le valait largement. L’un deviendra le très officiel Célestin VI, le second l’anti-pape Sylvestre IV. Et si les noms des grands princes du XV ème siècle étaient Jacinta I, Alaeddin premier, Philippe VII ou Hans Van Der Dingen. Des « si ». Et des « peut-être ». En habitant les possibles, en fondant sur « l’obscurité », les « mystères », d’une oeuvre picturale majeure du XV ème siècle les principes mêmes de leur « résolution », les deux compères brodent avec finesse et humour une superbe ode au rebut. Il suffit de si peu – une erreur orthographique, une brève errance de l’Histoire, un « manque de bol » – pour qu’un « quelqu’un » pressenti ne s’élève finalement pas au-dessus du statut de quidam. Et que le quidam initialement destiné à embrasser éternellement son transparent rôle d’imperceptible n’usurpe le prestige du rôle dévolu à qui restera dans les livres d’Histoire. Et si c’était cela, in fine, la leçon de ce tout petit tableau de Breughel – dont la taille insignifiante proclamerait alors d’autant mieux son propos -, et de ce livre indispensable. N’est ce pas dans le rebut que se découvre le mieux notre monde? Jésus ne serait-il pas un fieffé rieur? En fait, le Carnaval, mieux que s’en moquer en la teintant de grotesque, ne rétablirait-il pas la vérité? Ne serait-il pas, ce carnaval, en lieu et place de son expression cathartique, le réel lui-même?

La vérité est plus tordue, plus tordue qu’elle-même : la vérité est ce qui sort du trou dans lequel s’est enfoui le ver de terre : un tortillon de sable, ornement de l’absence.

Sergio Aquindo & Pierre Senges, Cendres des hommes et des bulletins, 2016, Le Tripode. 

Les bruits ci-dessus ont été enregistrés lors de l’émission Les Glaneurs sur Musique 3. Une émission organisée par Fabrice Kada, manutentionnée par Marion Guillemette et racontée par Adrien Grimmeau et Muriel Andrin.

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