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« Chansons du seuil » de Peter Gizzi.

 

l’eau est une façon de comprendre l’air

Le seuil est cet endroit qui, par excellence, se trouve au bord, non d’une mais de deux « choses ». A l’opposé d’un discours érigé dans la « marge » (cette « marge » qui tend à devenir la tarte à la crème d’une certaine création contemporaine), celui construit sur un seuil ne toise jamais, d’un dehors qui serait érigé en principe, ce dont il se sentirait irrémédiablement différent, et souvent supérieur. Sur le seuil, et conscient de s’y situer, on est fondamentalement entre. Entre l’extérieur et l’intérieur, entre un passé et un futur, entre une vie et une mort, entre un fond et une forme, entre un sens « pur » et un chant « pur ».

Rien que des mots pour remplir un espace plus vieux qu’une maison, un oiseau, que cette carafe et ma main.

Le seuil, c’est donc cet entre-deux. Et qu’il porte un nom accrédité – le « présent », le « ici » –  ou pas, Peter Gizzi se donne pour tâche dans ces chansons d’en explorer la trame. Que ce soit en affinant ces mots qui n’épuisent pas ce qu’ils représentent, qui ne suffisent pas à le définir, à le circonscrire – le « présent », le « ici » – ou en plongeant dans ce qui s’ouvre entre un fond et la forme qu’il « endosse », un sens et le chant qui est censé le « porter », à chaque fois, c’est ce travail même de dire l’entre-deux, de le chanter, qui est l’objet du poème. Il ne s’agit pas de « montrer une image », ni de la « dire », mais bien de « dire voir l’intérieur des images comme il est ».

Que vois-tu quand tu lis de gauche à droite, un garçon de bédé sur une pelouse de bédé, les bras en croix, quand tu vois le mot SOLEIL écrit là-bas en majuscules, un rai de brouillard au-dessus du lièvre qui bondit dans un cœur d’encre dans un garçon fantôme dans un rayon vert dans l’espace.

Souvent – et souvent une certaine poésie confirme cette impression – on croit qu’un sens doit s’arracher au poème. Qu’il se gagne de haute lutte et que son accès, défendu derrière des barrières d’hermétismes et de préciosités, se mérite forcément. Que sans ce sens, rien n’en demeure. A contrario existe-t-il cet autre pan poétique pour lequel un sens ne serait rien, y suffisant la seule et pure « forme ». D’un côté le « récit froid », de l’autre « un doux borborygme ».

Je ne suis pas sûr du sens

mais comprend la vague

Peter Gizzi, en questionnant ce qui se joue sur ces seuils, et en les habitant lui-même de ses poèmes, prouve que toute poésie est toute entière contenue dans ses éphémères espaces. Que là est son lieu. Entre main et voix, entre fond et forme, entre sens et son. Mais aussi, il démontre que dans la poésie – comme dans la vague, comme dans l’amour – réside quelque chose d’autre que des parties réunies. Et qu’à condition de ne pas la réduire à une fabrication ou à un accolement de contraires, accessible et profitable à chacun, elle touche à l’essentiel.

Comment vivre.

Que faire.

Peter Gizzi, Chansons du seuil, 2017, José Corti, trad. Stéphane Bouquet.

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