« Considérations sur le homard » de David Foster Wallace.

 

Il apparut que l’inspecteur du LAPD trouvait le porno émouvant, bien plus que la production grand public hollywoodienne où les acteurs – quelquefois très talentueux – déambulent en feignant l’humanité, c-à-d. :  » Dans les vrais films, c’est fait exprès. Moi, je crois que ce que j’aime dans le porno, c’est quand ça arrive par accident. »

David Foster Wallace n’est pas que l’écrivain d’un immense livre devenu culte, L’Infinie Comédie. Romancier de grand talent, il était aussi versé en philosophie ou en mathématiques (on ne saurait que vous conseiller de lire ainsi son autre chef-d’oeuvre, malheureusement bien méconnu, Tout, une histoire de l’infini) et était régulièrement approché par différents magazines américains pour couvrir certains sujets. C’est ainsi qu’il s’intéressa et écrivit sur des sujets comme le homard, la campagne de John Mc Cain ou le porno.

Le truc, c’est de reconnaître que la récente respectabilité de l’industrie porno crée un paradoxe. Plus elle devient acceptable d’un point de vue culturel, plus elle doit se montrer transgressive pour préserver l’aura d’inacceptabilité essentielle à son attrait.

En nos temps cyniques, le rire se marie rarement à l’acuité de l’analyse. Soit on se bidonne, et ce souvent au dépens d’un autre, soit on critique, avec le sérieux pour gage . Foster Wallace est l’un de ces rares auteurs qui parvient à jeter un regard critique aussi acéré que complexe sur son objet d’analyse tout en vous amenant à vous taper la cuisse. Avec lui, rien n’est simplifié. Il n’y a pas d’absolu qui tienne. On peut s’émouvoir dans le porno comme on peut concéder des gages moraux à un adversaire de l’avortement. On peut reconnaître une sentience aux crustacés et s’en goinfrer sans vouloir être un monstre. Avec Foster Wallace quand on rit, on rit toujours un peu de soi. Et c’est parce qu’on rit de soi, que l’éclat de rire n’est jamais cynique. Et qu’il nous permet, au lieu de nous en éloigner voire de nous gausser de celles d’un autre, de reconnaître nos propres contradictions. C’est terriblement drôle, c’est désespérant, c’est désabusé en diable. C’est lucide.

Être un touriste de masse, pour moi, c’est devenir un pur Américain fin-de-siècle : étranger, ignorant, avide de quelque chose qu’on ne peut jamais avoir, déçu d’une manière qu’on ne peut jamais admettre. C’est gâcher, par un acte purement ontologique, l’ingâchabilité dont on est venu faire l’expérience. C’est imposer sa présence dans des endroits qui de toutes les façons non économiques possibles seraient mieux et plus vrais sans nous. C’est, dans les files d’attente et embouteillages, transaction après transaction, être confronté à une dimension de soi-même d’autant plus douloureuse qu’on n’y échappe pas : en tant que touriste, on acquiert une valeur économique, mais existentiellement on devient répugnant, un insecte sur une chose morte.

David Foster Wallace, Considérations sur le homard, 2018, L’Olivier, trad. Jakuta Alikavazovic.

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