« Dans le signe » de Michael Heller.

Entendre le ventilateur

imaginer l’air

emplissant tout espace

devant lui, brûlant intérieur

d’une cabane, demi hélix

de l’oreille où le son chatouille.

Cage s’enferme

dans une pièce sourde, close

pour entendre le battement de son sang.

Pas de pureté comme ça pour moi

ni pour un traducteur qui laisse

entrer le bruit du monde,

intrus cognant à la porte.

Au moins, une moitié du battement

franchit le tympan,

au moins une moitié de ce battement

arrive au cœur qui

l’ajoute au sien.

Si une impression ressort directement de la lecture de cette anthologie d’un des très importants poètes américains actuels, c’est celle d’une continuité, de son inscription dans quelque chose qui la dépasse. S’insérant dans une histoire (celle des arts ou l’autre avec un grand « h »), dans une filiation plus personnelle (sa judéité), sa poésie se veut fondamentalement chaînon. En se plaçant sous l’exergue d’un vers de Celan, du nom de Cicéron, de la fin tragique de Benjamin, en référant à un événement comme la bataille de Sarajevo ou à la tragédie somalienne, ses poèmes commencent souvent comme un à-propos-de. La poésie de Heller est toujours « située ». Y est toujours lisible son point de départ. Mais si ses objets sont bien définis et reconnaissables, s’ils ne cachent pas s’insérer dans une continuité, ils ne s’y insèrent pas benoîtement. Tout d’abord car ils embrassent large. S’ancrant dans des langues (hittite, hébreu, latin, français, anglais…), des domaines du savoir (histoire, théologie, philosophie), des périodes différentes, les poèmes de Michael Heller, déjà de par la seule diversité de leurs points d’accroche, offrent un prisme de lecture très large. Ensuite car cette diversité « thématique » trouve un pendant dans une grande bigarrure des formes. Hétérogène mais dont l’objet est reconnaissable, formellement disparate mais sans qu’aucune volonté de rupture formelle n’en soit la cause, la poésie est ici résolument entée sur ce qui la précède mais sans nostalgie, inventive mais sans démonstration ni forfanterie.

Cette poésie « d’honnête homme », « utile », « objectiviste », offre ainsi, « l’air de rien », des moments d’une beauté d’autant plus rare et vivace, qu’elle sait se garder toujours de paraître gratuitement éthérée.

alors les profondes failles,      les incertitudes salvatrices

de ce monde     à la syntaxe outrancière –

l’amour de soi, par exemple,      qui devient amour d’un autre –

ou les notations      d’un œil observateur

qui remarque la plaque de lichen       sur le rocher,

l’eau lentement        qui érode le galet,

(ces témoins       d’un travail permanent

de résistance),       ne seraient-elles proclamations

que le plus apte est       celui qui porte en lui

le maximum       d’étrangeté

le sens de profondeur du monde        qui n’envahissent plus l’esprit,

formant un riche humus       de la lettre

de ce qui est dit. 

 

Et alors ne se pourrait-il pas         que nos mots se profilent

espoir contre la crainte        des proches,

de leurs gestes      vers un avenir?

Michael Heller, Dans le signe, 2016, Grèges, trad. Hélène Aji, Jean-Paul Auxeméry, Anne Mounic, Pascal Poyet.

 

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