« De la mort sans exagérer » de Wislawa Szymborska.

 

Où court la biche écrite dans la forêt écrite?

Il y a la poésie qui est le fruit d’un questionnement sur le monde, et celle qui est issue directement de l’étonnement qui précède ce questionnement. La première cherchera à traduire dans le langage ce que l’on peut rassembler sous la dénomination de « grandes questions existentielles ». Qu’elle s’ingénie à le faire d’une façon ou d’une autre – et il en existe de multiples, excellentes ou exécrables – elle donnera à lire le monde comme un champ d’interrogations permanentes. La poésie qui se situe en deçà de ce questionnement, quant à elle, semblera offrir à qui la lit moins des questions – finalement toujours les mêmes – que la liberté de se les poser toutes.

Dur de prendre le monde en flagrant délit d’autrement.

La poésie de la prix nobel 1996 paraît dénuée de tout parti pris formel. Non qu’elle ne soit pas très précisément construite, « pensée » en fonction du matériau qui la compose, la langue, mais comme jamais le problème formel lui-même ne devient l’objet du poème, le lecteur est en prise directe avec ce qui l’a suscité. On ne lit pas une forme. La poésie de Wislawa Szymborska est née de l’étonnement de constater que les choses sont les choses et non autrement qu’elles mêmes. Et non seulement, cette poésie en est issue mais elle réussit à préserver cet étonnement. Comme si elle ne s’était donné comme tâche que de s’en faire le relais.

Seul ce qui est humain peut nous être étranger.

Le reste c’est forêts mixtes, travail de taupe et vent.

La poésie de l’auteure polonaise ne déconstruit rien. Elle ne pose aucune question métaphysique. Elle ne défend aucun concept intangible ni mode de représentation figé. Et même quand elle s’intéresse, justement, à ce qui est en oeuvre dans le principe de représentation, ce n’est jamais pour mieux asseoir le rôle du poète, mais pour, encore une fois, y puiser une nouvelle source de surprise. Sincère et accessible, sa poésie réactive l’étonnement qui fonde toute question. Et quel étonnement encore, quel miracle même, que « l’impensable se laisse penser », et que cela, grâce à la poésie, puisse se dire…

À travers ces contrées erre la pauvre âme en peine,

disparaît, s’en revient, s’approche ou bien s’éloigne,

étrangère à elle-même; toujours insaisissable,

une fois sûre, une fois doutant de son existence,

tandis que le corps, lui, ne peut qu’être, et être, et être,

et ne trouve nulle part où aller.

Wislawa Szyborska, De la mort sans exagérer, Poèmes 1957-2009, Gallimard, 2018, trad. Piotr Kaminski.

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