« De la neige ou Descartes en Allemagne » de Durs Grünbein.

 

Maître, c’est bientôt sur vous qu’on réglera – les horloges.

Entre 1619 et 1620, Descartes séjourna à Neubourg, alors capitale du Palatinat-Neubourg, en Allemagne actuelle. Et c’est là, selon ses dires, que se révélèrent à lui les idées qui fondèrent par la suite la charpente de sa pensée. Durs Grünbein – dont on rappelle ici qu’il est l’un des plus importants auteurs allemands en exercice – s’empare de ce fait historique et fait dialoguer, dans une masure ensevelie sous la neige, le Maître et son serviteur, Guillot. La naissance du « je » cartésien, le froid, la guerre de trente ans, le rêve, l’amour très charnel de Guillot pour Marie : autant de sujets de conversation ou d’inquiétude qui émaillent leurs conversations. A cette première partie, souvent drôle et enjouée, voire même potache (même si elle est tempérée par les menaces qui pèsent déjà lourdement sur l’Europe) répond en contraste la seconde, très courte, où l’on retrouve un Descartes seul, isolé, dans son douloureux et mortifère exil suédois.

C’est une image déformée que tu peins là. Le philosophe –

Un bloc de glace qui garde, surgelée, la fragile plante qu’est la vie.

On a souvent tendance à associer au penseur français les opinions mêmes que se forge de lui, sans le lire, le plus grand nombre. Un être froid, « clinique », une pensée désincarnée, essentiellement duale, établissant le machinisme en idéal. En gros, un désenchanteur, un penseur épris de mécanisme, et rêvant d’y contraindre le réel, plutôt que cherchant de l’expliquer par ce biais.

En montrant un Descartes engoncé dans le réel jusqu’au cou, avec tous ses miasmes, ses désirs, ses pulsions, et s’y montrant bien, Durs Grünbein rompt radicalement avec cette vue bien réductrice. Dans ces dialogues passionnants – qui ne sont pas rappeler ceux animant d’autres couples mythiques de la littérature – il démontre qu’une pensée aussi grande que celle du philosophe français ne pouvait sourdre que d’une conscience pleine et ouverte sur le réel.

Point proche de Dieu, dans la chute des flocons s’enflamme

L’existence… Pour un instant, l’homme dans la neige

Est à son image, il avance d’un pas lourd, et porte en soi l’univers,

Avant que le temps ne l’avale, lui, le paysage et que son appel ne se perde.

Ni poésie, ni essai historique, ni essai philosophique, ni théâtre, ni « prose poétique », car ne se laissant réduire à aucun genre, De la neige ou Descartes en Allemagne s’affirme comme l’une de ces œuvres hybrides et essentielles venues d’Allemagne qui permettent de jeter un regard neuf sur les possibilités qu’offre le langage.

Durs Grübein, De la neige ou Descartes en Allemagne, 2017, Grèges, Trad. Françoise David-Schaumann & Joël Vincent.

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