Death, part three…

Contrairement à ce qui fut annoncé hier ici-même, la librairie restera ouverte aux horaires habituels. Le secteur bénéficie effectivement d’une exception à la règle de fermeture des commerces.

On vous mentirait si on vous disait que cette exception ne nous soulage pas, économiquement parlant. On vous mentirait également si on vous disait qu’elle ne nous a pas questionné. Pourquoi la librairie et pas le disquaire? Pourquoi nous et pas nos voisins coiffeurs? Pourquoi en Belgique et pas en France? Il faut bien dire que les discours qui en appelaient au caractère essentiel du livre ne nous paraissaient jamais vraiment convaincants. Certains même nous semblaient carrément imbéciles. Le manque de bonne foi, le côté corporatiste, et la faiblesse – voire l’absence – des fondements éthiques sur lesquels des tribuns de pacotille cherchaient à maquiller leur intérêt derrière le fard de la Culture et à bâtir à celle-ci une exception ne faisaient pas long feu eu égard aux désastres sanitaires, économiques et sociaux actuels. Cette culture-là fleure le mépris.

Mais la décision belge de laisser les librairies ouvertes n’est pas un revirement. Si elle a certainement été influencée par le flot d’invectives et de polémiques généré par la décision française de les fermer, elle fut prise, nous dit-on, dans le souci de préserver en sus des corps, les têtes. La fonction du livre et la reconnaissance de l’enjeu de celle-ci pour le bien commun ne sont pas choses si souvent mises en avant. Et ce qui nous semble important ici c’est que cette décision est bien une reconnaissance a priori, démocratique et, nous dit-on, collégiale. Elle n’est pas le résultat d’une revendication d’un groupe – le « monde du livre » – qui chercheraient à faire passer auprès d’un autre l’idée particulière qu’il se fait d’un objet – le livre. Ici, cette décision réunit autour d’un objet, qu’elle reconnait dès lors comme « plus » qu’un objet, des gens qui n’ont pas a priori de rapports privilégiés avec lui. C’est peu dire que cela nous a étonné. (Et un peu ému aussi, mais bon on est un tantinet fatigué).

Entendons-nous bien, quand nous parlons d’un livre qui serait « plus » qu’un objet et que nous disons nous réjouir de cette reconnaissance, nous n’entendons nullement construire au livre, et par extension, à ceux qui en ont fait leur métier, un piédestal. Le livre n’est pas « mieux » que le peigne du coiffeur. Le libraire n’est pas « supérieur » au restaurateur. En revanche, ce « plus » qu’on reconnait maintenant à l’objet-livre nous semble légitimer le rôle sui generis qu’il peut jouer dans la catastrophe que nous connaissons tous. Car, sans en revenir à une vision post-romantique, le livre, et le rapport au temps qu’il impose, parce qu’il est l’outil du concept (on serait même parfois tenté de dire qu’il en est la condition…), offre un retour unique sur ce qui nous subjugue actuellement. Lui reconnaître ce « plus », ce n’est dès lors aucunement lui conférer une supériorité morale. C’est lui accorder à nouveau sa spécificité. On ne coiffe pas sans peigne. On ne pense pas sans livre. Sans doute ne nous sortira-t-il pas de notre désarroi, du moins nous permettra-t-il d’en faire quelque chose.

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1 Commentaire

    • bruno duplant sur 1 novembre 2020 à 14 h 37 min
    • Répondre

    Approbation et remerciements.

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