« Drôles de Valentines » de Nathalie Koble.

drole-valentinesOn ne compte pas vers le 14 février les vitrines se colorant de rouge, de cœurs, d’angelots bandant des arcs et autres représentations censées figurer l’Amour. A celles-ci sont bien souvent accolés des maximes, des proverbes, des « poèmes », censés, quant à eux, leur donner un langage propre. Force est d’en constater, nonobstant les vélléités mercantiles qu’il porte balourdement, la mielleuse facilité et, in fine, l’innocuité.  Habillant l’amour de piètres formules empruntées à Carême, Eluard ou Neruda, le « poète » du 14 février, en vient à massacrer ce qu’il désirait parer d’atours. Aimer dans ces mots là semble aimer fort peu.

La tradition de la Saint-Valentin est très ancienne. Ancrée dans les pratiques courtoises françaises et anglaises, c’est principalement sous le règne de Richard II, dans la toute fin du 14ème siècle, que va se forger une véritable mode poétique. Avec Chaucer, John Gower, mais surtout Oton de Grandson avec son Songe de la Saint-Valentin, l’amour, son érotisme, ses tours et détours langagiers, entrent dans la chronologie du calendrier à la date du 14 février.

Dans une introduction passionnante, Nathalie Koble nous éclaire sur les origines de la Saint-Valentin, mais aussi sur la richesse des modes d’expression qu’elle ne cesse d’initier. Car l’inventivité de la « mise en langue » de l’amour ne s’achève pas avec ce qui la fonde. S’il est bon de relire Charles d’Orléans ou Jean d’Estouteville pour goûter le miel originel des « Valentines », il est peut-être plus important encore de rappeler que depuis lors, les poètes (sans guillemets cette fois) n’ont eu de cesse d’enrichir l’expression du sentiment maître de tous les autres. Ainsi trouve-t’on ensuite de l’introduction, mêlés à ceux des précités ou de Christine de Pizan, des poèmes dédiés à Valentin de Creeley, Zukofsky, Stein, Dickinson, Bernstein, etc… Et cela en bilingue vieux-français/français ou anglais/français!

Lumière dans l’œil, je t’ai vu ma

lumière parmi toutes

qui réchauffait le ciel dans une tasse,

ma tasse de lumière, moi

j’étais une pause sur le bord

où la lumière débordait

de la tasse qu’elle occupait. Et toi

tu étais l’œil qui voyait le tout,

et tu étais le tout

qu’il voyait. 

(Cole Swensen – Tienne)

Rien qu’en cela, cette anthologie permet de faire découvrir à qui « n’y connaîtrait rien », qu’au travers de thèmes ancestraux, la poésie se découvre sans cesse de nouveaux moyens pour dire l’essentiel, et donc le transfigurer.

S’il est bien utile de retourner à ce qui fonde la tradition de la Saint-Valentin, ce n’est pas pour faire montre d’érudition ou par simple aspiration réactionnaire, mais bien pour désamorcer ce qui, à l’oeuvre dans le tout-au-commerce d’un événement, en vient à sacrifier la beauté du sentiment sur lequel on prétendait l’ériger. Et rappeler que depuis très longtemps, aimer, c’est le dire, et crypter son désir en lui trouvant une formule adéquate.

Nathalie Koble, Drôles de Valentines, 2016, Héros-Limite.

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(1 commentaire)

    • koble on 30 juillet 2016 at 11 h 15 min
    • Répondre

    merci pour cette très belle présentation et pour votre lecture, qui me va droit au coeur. NK

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