« Du perdant & de la source lumineuse » de Kees Ouwens.

 

Et le miroir vous revoit mais son coup d’aile

voile telle eau.

Les efforts, nécessaires et légitimes, qui furent déployés pour faire découvrir en français l’extraordinaire vitalité des avants-gardes de la poésie américaine du vingtième siècle – et tant reste encore à faire! – ont eu tendance à parfois occulter ce qui pouvait germer d’essentiel dans d’autres langues. Comme si ne pouvait se dérouler ailleurs que du local, presque de l’accessoire. Dégâts collatéraux que des entreprises courageuses de traduction tentent, avec plus ou moins d’à propos et de réussite, de réparer. Et on découvre ainsi peu à peu des œuvres, par exemple, de Pastior, de Hans Faverey, de Durs Grünbein, de Hawad, ou, tout récemment de Chen Li, qui, qu’elles émergent du chinois, du berbère, de l’allemand ou du néerlandais, prouvent, dans les influences qui s’y lisent, l’heureuse et intemporelle porosité des frontières et la fascinante et universelle nécessité que ressentent toujours d’aucuns à fouailler le langage.

Du perdant & de la source lumineuse, recueil en langue néerlandaise de Kees Ouwens publié en 1997 est la preuve même – eh oui, donc! –  qu’existent bien des chefs-d’oeuvre de la poésie du vingtième siècle qui n’aient pas été écrit en anglais.

A tel point que le transfert de la vie à la mort est une source,

qui contient dépourvu de tout contrôle le partout

Si les poèmes de ce recueil sont hantés, discrètement, par la mort du père de l’auteur, celle-ci n’est jamais la finalité du poème. Plus subtil, la mort même, et ses insondables questions, paraît, au fur et à mesure du recueil, mener à un questionnement qui la déborde largement. Ainsi, par les déplacements incessants du « je » des poèmes (de ce qui environne à ce qui est environné, de ce qui disparaît au point de vue qui le surplombe, d’un bord à ce que ce bord semble forclore), en maniant conjointement temps et espace, en rappelant que la lumière est et onde et corpuscule, il fait, de cette possible lumière aperçue au bout du tunnel mortel, celle qui peut éclairer nos vies. Et déplace, par ces traverses, l’insoluble question initiale. Qu’il y ait de la lumière signifie-t-il qu’il y ait nécessairement quelque chose à voir? L’intervalle entre mort et vie n’est-il pas à l’image de celui qui nous sépare de l’Autre? La réalité d’autrui est-elle irréductiblement et exclusivement la sienne?

Il s’ouvre à ce qui est accessible par nature

qui le fait accéder à lui-même, où

c’est perméable à mesure de son énonciation

C’est dans ses formes – ses, car multiples, prolixes – que se révèlent les atermoiements de la pensée du poète. Quels qu’en soient les linéaments exacts, le génie de cette poésie réside en grande partie dans la conjonction, presque magique, des temps de lecture et d’écriture. La question posée par le poète se dévoilant au lecteur dans le temps même de son énonciation. Ce temps conjoint devenant alors une des conditions même de la question, voire de la possibilité qu’il y ait à la poser.

comme un ballon sorti de son bond, l’œil

laissé là-bas, comme le mur complet des mains 

vides, le métabolisme cessé entre eux, est en attente

de l’accomplissement par les autres, des doigts à fermer

les paupières, dans la dernière des rues,

une aptitude plus pauvre.

La poésie de Kees Ouwens est de celle qui se dévoile lentement. Mais dont la lenteur du dévoilement est partie intégrante de la beauté. Aux antipodes d’un hermétisme borné et clôt sur lui-même, son apparente « difficulté d’accès » n’est pas un acte de fermeture mais une occasion de faire sourdre en le lecteur, lentement et savamment, une émotion qui submerge d’autant mieux qu’elle paraissait contenue. Il est de ce ces émotions, qui se gagnent sans s’arracher, que l’on chérit plus que d’autres…

Kees Ouwens, Du perdant & et de la source lumineuse, 2016, La Lettre volée, trad. Elke de Rijke.

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