« Embrasse l’ours et porte-le dans la montagne » de Marc Graciano.

Et l’évêque dit que si Dieu avait fait les hommes à son image c’était nullement pour que l’on crût qu’ils descendissent des ours par lignage, mais que Dieu avait placé les hommes au rang supérieur et les animaux à celui inférieur, en lequel ils se devaient de servir l’Homme, et que, pour cette raison, avait dit l’évêque, si les bêtes domestiques plaisaient à Dieu, il n’en était rien pour les farouches bêtes fauves, les bêtes sauvages qui, toutes, étaient malfaisantes pour l’homme, et qui, toujours, cherchaient à tourmenter l’homme, comme elles l’avaient fait pour le Seigneur durant les quarante jours qu’il avait passés au désert, durant son suprême carême, et qui cherchaient toujours à fuir l’ordre divin par leurs méfaits, qui cherchaient, en tout temps et tous lieux, comme cela se savait, à saccager les cultures des hommes, ou à détourner le bétail des hommes, en cette dernière nuisance, coupable d’abigeat, crime depuis toujours puni de mort, ainsi encore que cela se savait, avait dit l’évêque, en cela adeptes du maufait, avait encore dit l’évêque, en cela créatures du maufait, de nuisibles malebêtes, avait proféré l’évêque, et que, avait proclamé l’évêque, il fallait être infidèle au plus haut point et non seulement hérétique ou adepte des anciennes croyances fausses pour penser que des humains pussent avoir été engendrés par une ourse, à cause, avait dit l’évêque, que cela aurait alors signifié que Dieu avait figure d’ours, pensée absurde et inepte que, seul, l’esprit insane des païens qu’ils étaient restés, ceux qui croyaient en de telles fariboles, pouvait enfanter, et qui, bien certainement, leur aurait fait mériter l’anathème, si une telle malédiction pouvait avoir quelque effet sur leur esprit natif, si bien qu’il ne pouvait, lui l’évêque, seulement que les en admonester.

En un temps et un lieu non précisés, une ourse s’apprête à hiberner. Puis il y a des oursons, des oursaillers, des balladins…

Au risque de retirer beaucoup de l’agrément de lecture, il ne nous est pas possible de nous étendre plus sur l’histoire ce dernier livre de Marc Graciano. L’un des mérites remarquables de celui-ci étant bien non pas seulement de ménager ses effets (comme on dit) mais aussi de dissimuler ce sur quoi même ces effets se greffent. Fable, conte trash ou initiatique, histoire naïve, roman moral, d’un chapitre à l’autre, l’auteur transporte son lecteur dans des événements sans jamais laisser deviner, en passant d’un « genre » à l’autre, quelle pourrait en être la suite. Et ainsi, peu à peu, se donnent à lire rien moins qu’une forme de kaléidoscope de nos rapports à la nature. C’est mené de main de maître. C’est porté par une écriture qui parvient, oh gageure complexe, oh quadrature du cercle, à conjuguer poésie et efficacité narrative. Et c’est, sans doute, l’oeuvre par laquelle il sera le plus aisé de rentrer dans l’univers fascinant de l’un de nos rares auteurs contemporains essentiels.

Marc Graciano, Embrasse l’ours et porte-le dans la montagne, 2019, José Corti.

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