« En attendant la fin du monde » de Baudoin de Bodinat

Un monde désormais, si l’on résume, sans échappatoires, même en imagination.

Courbés sur leur intelligent-phone, ils parcourent nos espaces publics, les yeux fixés avidement sur un temps et un lieu qui ne sont pas ceux qu’arpentent leurs pas. Il savent tout. La terre se réchauffe inexorablement. 80 % des insectes européens ont disparu lors des trente dernières années. Le taux de polluants dans l’atmosphère des grandes villes ne cesse d’augmenter et de causer un plus grande nombre de décès. Sans cesse, le flux de migrants climatiques grossit. Tout cela est à portée de leur doigt. Ils savent tout. Ou plutôt, ils y ont accès. Car cela fait déjà quelques temps que, pour eux, « avoir accès » a remplacé tous les modes de « savoir ». Comme si ce dernier terme n’était devenu qu’une modalité, d’ailleurs subsidiaire, du premier. Et s’ils savent, et s’ils se savent savoir, cela signifie alors un point d’arrêt, un aboutissement. Comme si « savoir » était une fin en soi et ne nécessitait aucun « agir » où se conclure. Ayant accès, c’est-à-dire donc, pour eux, « sachant », ils peuvent alors retourner tranquillement à leurs gestes automatiques leur donnant accès à plus encore.

Toute leur vie se passe à faire autre chose.

Le constat est là, glaçant. Alors que les possibilités de connaitre les raisons du désastre qui s’annonce et les gestes indispensables à notre survie – celle-ci s’affirmant de jour en jour plus douteuse -, n’ont jamais été aussi disponibles, le ratio entre le possible et l’action n’a jamais paru aussi faible. Prostrés sur leur autels portables, ils se contentent de… retourner se prosterner devant leurs autels portables. De ce qu’il croyaient – et persistent à croire! – pouvoir leur offrir une infinité de vies possibles, ils ont fait ce qui les condamne à n’en vivre aucune.

Nous reste alors ce texte. Comme une consolation de ne pas se savoir tout seul à partager un désespoir. Une consolation bien terne. Une misère. Mais une misère bien en phase avec le monde qui la provoque.

Baudoin de Bodinat, En attendant la fin du monde, 2018, fario.

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