« En face » de Pierre Demarty.

En faceQu’on peut vivre ainsi très facilement, sans presque se soucier d’exister.

Jean Nochez, marié, père de deux enfants, philatéliste, parfait indice du moyen terme de l’humanité, incarnation de la normalité faite homme dans tout ce qu’elle représente de plus insipide banalité, Jean Nochez décide un jour (mais y a t’il seulement quelque chose chez lui qui ressorte de la décision?) de quitter domicile, femme et enfants, de traverser la rue et de louer l’appartement en face.

Jean Nochez, fantassin admirable de la division des nombres qui parmi nous se dirige à pas certains, incalculable et inhéroïque, vers le terme du combat sans songer un seul instant à en dévier l’issue, Jean Nochez, suprême et paradoxale incarnation de ce que l’humanité peut avoir de plus désincarné, Jean Nochez, huître, moule, mollusque, particule, en un mot très exactement individu, n’avait pas la moindre raison de se concevoir capable d’un geste si singulier.

Pas de côté, ou plutôt pas vers l’autre côté d’une vie faite de rien (C’est beaucoup déjà, ce trois fois rien.), tissée d’habitude, nourrie à grands coups de journaux télévisés, de gratins ou de quiches, le geste de Jean Nochez paraît LA transgression par excellence.

Par cet infinitésimal pas de côté, ce très léger glissement dans la marge […] il s’apprête à accomplir le geste le plus scandaleux qui soit : tourner tranquillement le dos au monde, à sa vie, pauvre vie, vieille maîtresse acariâtre et possessive, bien fait pour elle.  Et ce sans motif, sans mobile, ni la moindre finalité.

Racontée par l’un de ses collègues du zinc des Indociles heureux qu’il apprendra à fréquenter assidument, l’aventure (car aventure il y a) de Jean Nochez a ceci d’extraordinaire qu’elle nous enseigne qu’un rien suffit à bouleverser l’édifice d’une vie.  Dans cet océan d’ennui qu’offre le spectacle de nos existences, le fantastique tient à un minuscule écart.

Car on peut aller très loin sans aller nulle part.

D’une drôlerie féroce parsemée de références (certes pas toujours utiles), brillamment rythmé, « En face » parvient à subtilement nous offrir en miroir l’image de ce néant quotidien, un peu pompeusement nommé vie, dans lequel nous sommes moins plongés qu’englués, et que ne semble parfois traverser, mais si scrupuleusement, que le temps.

C’est un récit plein de silence et de rumeur, et moi l’idiot qui le raconte, et vous qui en cherchez le sens.

Pierre Demarty, En face, 2014, Flammarion.

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