En guise de vœux…

Si sont souvent réputés y germer les premiers linéaments des grands mouvements intellectuels des lendemains, le temps de crise lui-même, dans son urgence et son désordre, n’est jamais celui où brille avec éclat et profusion la pensée d’avenir. 2020 (qui, quoi qu’on en pense, ne forme qu’une étape dans ce grand désordre) aura été l’occasion de le vérifier. Entre le devenir sorcière/chamane/cabane des uns, le souhait « d’un avenir plus digital » de la BCE, le tout-au-sanitaire dogmatique ou les illusions délirantes du grand complot, on retrouve, sous le vernis manichéen des différences irréconciliables, la même appétence pour le simple. Le problème étant réduit à une cause, unique et identifiable comme telle, une et une seule solution, applicable universellement, viendra le résoudre. En oubliant – ou feignant d’oublier – qu’en faisant rentrer au forceps un problème réel dans un cadre doctrinal prédéfini, on ne change rien au problème – a fortiori ne le résout-on pas – mais on lui bâtit, comme on le ferait dans un laboratoire où toutes les conditions d’expérience sont maitrisées, une fiction. Alors certes, dans chaque fiction prise à part, ça fonctionne super bien. La cause explique et la solution résout. Mais il suffit de constater la cacophonie que produisent, mises bout à bout ou cornes contre cornes, les innombrables fictions prétendument concurrentes pour constater que le réel, décidément, ne s’y laisse jamais plier.

Nous vous souhaitons une année où l’on ne confonde plus la méthodologie d’appréhension du réel avec le réel-même, où ce que l’on nomme science ne puisse plus être critiqué/professé/contesté avec les seuls outils de la rhétorique, une année où rien, absolument rien ne puisse être dit sans qu’on en ait d’abord précisé le cadre épistémique, une année où l’on ne ramène pas tout, sous prétexte de se défaire des principes hérités d’une histoire fantasmée, à des visions duales et caricaturales du politique. Bref on vous souhaite une année, non pas compliquée, mais complexe.

Le même acte de l’esprit sert à l’homme à tirer de lui-même le tissu de la langue et à s’envelopper dans ce tissu, de sorte qu’à la fin il ne se comporte et ne vit pas autrement, dans ses relations avec les objets intuitifs, que comme l’élément médiateur du langage le lui prescrit. (Ernst Cassirer in La philosophie des formes symboliques)

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