« Esthétique 1958/59 » de Theodor W. Adorno

L’art, dans la pensée d’Adorno, n’occupe pas une position accessoire, métaphorique ou exemplative d’une recherche du vrai. Il en est, au contraire l’un des axes privilégiés. Raison pour laquelle il lui consacra une place aussi importante tout au long de sa vie (6 cycles de cours entre 1930 et 1968 et un livre majeur, Théorie esthétique, qui ne verra le jour qu’après sa mort). C’est donc avec un intérêt qui dépasse largement le strict cadre du « documentaire » que la traduction pour la première en français de ces vingt et un cours donnés à Francfort entre 1958 et 1959 doit être considérée.

De manière étrange, les hommes qui disent le plus souvent qu’on ne peut discuter du goût sont ceux qui discutent le plus du goût ; et l’homme qui devant, si on veut, un tableau moderne exposé ou un morceau de musique moderne, dit qu’il ne comprend pas cela, se dispensant de la contrainte d’un jugement, est en général celui qui croit qu’en ne comprenant pas quelque chose, il a déjà exprimé quelque chose d’anéantissant sur cette chose qu’il ne comprend pas.

En se rapportant à quelques analyse concrètes (l’idée de l’art dans le Phèdre de Platon, la musique de John Cage), Adorno cherche à éclairer ce qui distingue ce qu’est l’esthétique de ce qu’en font l’opinion vulgaire et la globalisation marchande. En évitant l’écueil du définitoire – Adorno exècre le raccourci, qui expurge tout concept de sa substance – il creuse toujours plus avant dans cet espace délicat, mouvant, qui constitue la matière même de l’art et nous pousse à interroger et redéfinir sans cesse nos schèmes de saisie du monde : le spirituel, la matière, le sensible, le sujet, l’objet. Continuité du magique dans le symbolique, consécration de l’apparence libérée du mensonge de prétendre au réel, mimétique dépouillée de l’objet à imiter, l’art n’est lui-même, et n’a d’intérêt, que s’il échappe aux possibilités de le circonscrire. C’est ce qui tout à la fois fait son intérêt et le menace d’impasse.

Ce qui est extraordinaire dans ces cours est de pouvoir saisir, comme sur le vif, une pensée parmi les plus exigeantes se constituer, se transformer, s’affiner au contact même de sa mise à disposition des autres. Et cela en conservant, toujours, le même niveau d’exigence et de rigueur. Comme si la responsabilité morale avec laquelle on constituait rigoureusement une science ne pouvait qu’aller de pair avec celle de son partage.

la musique ou l’art en général dit quelque chose, exprime quelque chose, on pourrait dire imite quelque chose, mais pas quelque chose par un intermédiaire objectif, pas en reproduisant un objet, mais en se faisant semblable, dans toute la façon de se comporter, dans son gestus, dans son être, pourrait-on presque dire à cet endroit pour annuler l’écart.

Theodor W. Adorno, Esthétique 1958/59, Klincksieck, trad. Antonia Birnbaum & Michel Métayer.

Lien Permanent pour cet article : https://www.librairie-ptyx.be/esthetique-1958-59-de-theodor-w-adorno/

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.