« Et quelques fois j’ai comme une grande idée » de Ken Kesey.

Et quelques foisSTOP!  DU CALME.  FAIS JUSTE UN PETIT PAS DE COTE POUR VOIR LES CHOSES SOUS UN AUTRE ANGLE.

Alors que la grève installée à Wakonda étrangle cette petite ville forestière de l’Oregon, un clan de bûcherons, les Stampers, bravent l’autorité du syndicat, la vindicte populaire et la violence d’une nature à la beauté sans limite. Menés par Henry, le patriarche incontrôlable, et son fils, l’indestructible Hank, les Stampers serrent les rangs…  Le retour de Lee, l’autre fils parti douze ans plus tôt à New-York et revenu pour se venger, va bouleverser un peu plus ce fragile équilibre.

Construit autour d’une intrigue haletante qui n’est pas sans puiser à la fois dans l’antiquité grecque et les croyances américaines, Et quelques fois j’ai comme une grande idée, sans faire de la référence un artifice, est hanté par l’animisme indien autant que par Œdipe, les satyres ou la lune qui, sous la plume de Kesey, devient un personnage à part entière, unifiant les croyances dans sa riche symbolique et ses rôles physiques.

au diable ce monde qui refuse de rester le même.

Tel le fleuve héraclitéen autour duquel s’articule son roman (et le fleuve sillonne les champs tel un oiseau de proie scintillant), tour à tour véhicule et barrage, un jour enrichissant ses berges de son limon, l’autre les érodant de sa violence, la phrase de Kesey glisse d’un de ses personnages à l’autre, du je au il, du plus profond du sujet à l’objectivité sans fard d’un narrateur sans cesse changeant.  On navigue ainsi d’une conscience à l’autre, la trame de l’histoire se dévoilant au rythme du dévoilement de chacun, non pas malgré leurs non-dits mais grâce à eux.

Vous savez quoi?  C’est dur de parler à quelqu’un que vous avez pas vu pendant longtemps, et c’est dur de pas le faire.  Particulièrement quand on a plein de choses à dire et aucune de comment s’y prendre?

La magie (au sens plein) opère.  Le vrai talent se mesure aussi à l’absence de la marque de l’auteur.  A ce que sa phrase ne nous apparaisse pas lue mais entendue.  A ce qu’elle ne nous apparaisse pas comme un médium, qu’elle disparaisse même derrière l’existence qu’elle atteste sans la proclamer.  Qu’il n’y ait pas d’écriture mais juste une oreille.

rien de tout cela n’aurait jamais existé, comme le bruit qu’un arbre ne fait pas quand il tombe dans la forêt s’il n’y a personne pour l’entendre.

Et peu à peu, la phrase de Kesey arrache bout à bout de chaque personnage son essence, les émonde plutôt, nous donnant à les entendre tous sous leur écorce, les dévoilant dans toute leur profondeur, leur complexité, leur différence.  Et comme le fleuve qui le traverse de part en part, Et quelques fois j’ai comme une grande idée se gonfle des consciences et inconsciences de ses personnages pour atteindre au sublime.

mais chaque mot qu’il chante, chaque saut et chaque geste, semble participer d’un rituel pour effacer le retour d’un démon féroce à la surface de la terre, rituel qu’il ne peut arrêter car chaque action calculée pour en courber l’ascension irrésistible finit par n’être qu’un nouvel élément d’une autre cérémonie subconsciente, elle-même nécessaire à cette irrésistible ascension.

Ken Kesey, Et quelque fois j’ai comme une grand idée, 2013, Monsieur Toussaint Louverture, trad.

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