« Être la rivière » de Sacha Bourgeois-Gironde.

Qu’est ce que la rivière Whanganui? Ou qui est-ce?

En 2017, via la loi dite Te Awa Tupua, le fleuve néozélandais Whanganui recevait le statut juridique de personne vivante et était reconnue comme un tout indivisible. Par un système complexe, les législateurs dessinaient ainsi un rapport au vivant radicalement inédit, dont l’originalité fut saluée et commentée abondamment dans le monde entier. Mais si ce texte juridique reçut un important écho, il faut convenir que les « analyses » qui en furent faites jusqu’ici étaient bien plus dépositaires des a priori de qui se proposaient d’en toucher un mot que le résultat de sa lecture rigoureuse. L’opposant par défaut à une refonte du droit par/pour l’écologie le considérait comme un délire de plus vers une négation de l’humain et un « retour à l’âge de pierre ». L’écolo-punk-à-chien-abreuvé-d’Haraway y lisait la condamnation de « l’ignoble logique occidentalo-capitaliste » et le début de sa fin programmée par la redécouverte bienvenue du chamanisme. L’un comme l’autre ayant manifestement fait l’économie d’une lecture sérieuse de la chose…

un texte de loi peut modifier, au moins ponctuellement, dans un contexte humain et un paysage particuliers, l’expérience que nous faisons d’éléments de la nature.

Sacha Bourgeois-Gironde a l’immense mérite de revenir sur ce texte important sans ignorer ce qu’il est d’abord : un fait de droit. Un fait de droit qui, comme tout autre, a une histoire et traduit, relativement à celle-ci, une volonté d’organiser le monde en étant bien conscient qu’en l’organisant, on le crée aussi. Un fait de droit qui cherche d’abord à résoudre des problèmes particuliers et qui ne peut être compris sans l’analyse précise des situations qu’il cherche à solutionner. Un fait de droit qui est donc, aussi, un fait de langage, et un fait de langage d’autant particulier qu’il se situe entre deux langues.

Au fil de cette enquête aussi passionnante qu’érudite, on découvre combien cette loi bouleverse nos conceptions habituelles de la propriété ou de l’être. Mais aussi que les solutions aux questions écologiques ou mémorielles n’ont d’avenir que si elles s’envisagent dans un dialogue dénué de préjugés. Si la rivière Whanganui est – « est », au sens plein du terme, aussi bien juridiquement qu’ontologiquement – elle ne l’est ni au sens exclusif maori, ni occidental. Le juridique crée ici un espace qui n’est ni celui d’un animisme fantasmé, ni celui d’un occidentalisme vainqueur. La fiction que produit le droit répond à la nécessité, née d’une histoire, de réparer un lien, et lui crée ainsi de nouvelles possibilités d’avenir.

Sacha Bourgeois-Gironde, Être la rivière, P.U.F.

Lien Permanent pour cet article : https://www.librairie-ptyx.be/etre-la-riviere-de-sacha-bourgeois-gironde/

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.