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« Heidegger et l’antisémétisme. Sur les Cahiers noirs » de Peter Trawny.

HeideggerEst-il possible de penser sans Heidegger?  Sans doute.  Mais il est plus compliqué de le faire après Heidegger.  Est-il possible de penser avec Heidegger après la parution de ses Cahiers noirs?  La question émeut et clive.  Et d’autant plus depuis les « fuites » relatives aux assertions supposées d’un Heidegger supposé antisémite.

Nous sommes assurément voués aux suppositions.

Alors même que d’aucuns trouvaient dans des on-dit, des informations de seconde main ou divers documents privés, de quoi instruire des procès, moins à charge et décharge, qu’il ne procédaient souvent d’une intention, l’ambition de Peter Trawny est bien de s’ancrer dans les faits d’un discours désormais disponible pour le confronter à la construction philosophique de qui l’a tenu.

Il y a un antisémitisme dans la pensée de Heidegger qui, comme on peut s’y attendre de la part d’un penseur, reçoit une justification philosophique (impossible), mais qui, malgré cela, ne va pas plus loin que deux ou trois lieux communs stéréotypés.  La construction ontologique aggrave son cas.  C’est elle qui a mené à la contamination de cette pensée.

La pensée heideggérienne, selon Trawny, fut donc contaminée par l’antisémitisme. Et cela, sous les « ors » les plus vulgaires de celui-ci.  « Concept » du complot juif internationaliste, de la juiverie, inhérence des rapports convulsifs avec l’argent à une race juive fantasmée, le juif de Heidegger qui nous est donné à lire dans les Cahiers noirs est bien celui du commun.  Là ou le bât de la pensée blesse, c’est où elle fut le plus chargée du vulgaire.  Le « on » condamné par Heidegger est celui-là même où il se complaît lorsqu’il évoque le juif.  Si, effectivement, les citations extraites des Cahiers noirs laissent peu de marge quant à leur interprétation stricte (oui, elles sont antisémites), elles ouvrent le champ (comme tout peut l’ouvrir) à nombre d’hypothèses.  Il a dit cela parce que ceci.  Il a dit cela parce que ça.  Tout est œuvre d’hypothèse.  Mais le propre de l’hypothèse est bien aussi que s’y reconnaît la possibilité, à même échelle de validité, de son exact contraire.  Et qui s’échine à vouloir sauver (ou couler) Heidegger à tout prix en vient alors à en tenir d’aucunes qui ne peuvent trouver de légitimité qu’en elles-mêmes.  Jusqu’à supposer (encore supposer), dans le chef de qui a tenu les propos faisant débat, pour le sauver mieux encore, une interprétation de l’interprétation future de ceux-ci.

La dissimulation des Cahiers noirs ainsi que la demande de les publier à la toute fin des œuvres complètes n’étaient-elles pas liées à l’intention de Heidegger de nous montrer à quel point sa -la- pensée a pu s’égarer?

A force de vouloir expliquer, qui plus est à la lumière de sa propre philosophie, la teneur de propos si bêtement communs, on en oublie que peut-être, justement, ils n’éclairent ni n’obscurcissent rien.  Peut-être sont ils juste bêtes et communs?  Peut-être ne sont ils tenus que pour cela?  Parce que communs, ils sont, c’est un truisme, partagés par tous.  La pensée a ses trous, ses vides, ses manques.  Comme qui pense a ses absences.  Faut-il pour cela faire de ceux-ci, de ces penseurs, des fabricants de gouffres?  A force d’apparenter des propos à des énigmes qu’il s’agit absolument de déchiffrer, de résoudre, on en oublie souvent une (d’hypothèse) : qu’il n’y ait pas énigme.  Que hors l’économie d’une pensée, ces propos ne seraient alors, glacials et abominables, que l’expression de l’inscription (et non sa contamination) de celle-ci dans un temps.

Peter Trawny, Heidegger et l’antisémitisme. Sur les Cahiers noirs, 2014, trad. Julia Christ et Jean-Claude Monod.

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