« Indiens en bleu de travail » de Jaime de Angulo.

Indiens en bleu de travail.Doc, nom de Jaime de Angulo chez les indiens, revient chez ceux-ci dans le but d’apprendre leur langue, le Pit River.  Très vite (et cela se confirmera lors des trois autres étés qu’il les côtoiera), cet idiome lui paraît bien plus complexe que la société au sein de laquelle il est employé.  Ou que l’image qu’il s’en donne de prime abord.

J’errais parmi les armoises.  Je pensais à cette langue de Pit River.  Je voyais déjà que ce serait très difficile, que c’était une langue très complexe, d’une structure complexe.  Et pourtant les indiens de Pit River étaient dits l’une des tribus les plus primitives, culturellement au niveau de l’Age de Pierre.  J’en restais songeur… Pourrait-il n’y avoir aucun rapport entre langage et culture?

Le langage est la trace de la différence entre deux conceptions du monde.

Les deux mots se ressemblent, n’est-ce-pas, astsuy et astsuy.  L’un signifie <maison> et l’autre <hiver> mais les blancs ne voient jamais la différence.

L’évidence de l’un se heurte à celle de l’autre.  Sans comprendre où se loge cette différence (ici, dans le ton), elle paraît irréductible et consacrer, dans le langage même, un écart qui ne pourra être comblé entre les deux « civilisations ».

Je n’ai que des mots.

Loin d’acter ce constat en s’y arrêtant, ou, défait, de se recentrer sur la seule étude linguistique dépouillée de ces oripeaux sociétaux, Jaime d’Angulo s’y enfonce plus encore.  Et grâce à lui et sa narration faisant fi des clivages épistémologiques, on aborde une culture (ici celle de Pit River, comme il eût pu s’agir d’une autre) par le propre cheminement de qui la découvre.  Et ainsi, cet ailleurs qu’il nous fait découvrir, garde tout son goût d’ailleurs.  Sans revêtir celui d’une étude reposant sur un calque posé par la civilisation qui étudie sur celle qui est étudiée.

La saveur de l’autre, dans ce qu’il a de plus différent se révèle à nous dans toute la fraîcheur de son apparition.  Où la chance peut devenir critère moral ou la paresse une vertu.  Où, si l’on n’a pas un quelque part où aller, il est possible de ne pas aller du tout.

Et si nous n’allions pas quelque part, nous n’allions pas, et voilà tout.

Et dire que suffit juste, pour que le lecteur puisse recevoir cette sensation radicale et vivifiante d’un écart, que Jaime d’Angulo ne soit pas quelqu’un « comme il faut ».

Les anthropologues comme il faut ne côtoient pas les ivrognes qui roulent dans les fossés avec les shamanes.

Jaime de Angulo, Indiens en bleu de travail, 2014, éditions Héros-Limite, trad. Martin Richet.

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