« La Bible » de Peter Nadas.

Alors que s’éveillent en lui les premières passions et les questions morales qu’elles soulèvent, un jeune garçon voit arriver dans la maison familiale une jeune bonne engagée par ses parents. Entre pulsions de tendresse et de violence, les rapports qu’il entretient avec ceux et celles qui l’entourent vont alors prendre un tournant inattendu, de ceux-ci comme de lui-même. Et dans une Hongrie communiste qui renâcle à se souvenir de son enracinement catholique, la découverte d’une vieille bible familiale mise au rebus va devenir un révélateur.

Il faisait frisquet dans ma chambre. Depuis longtemps réveillé, j’observais, à l’extérieur, le monde clos du jardin. Sans nulle envie de sortir de mon lit bien chaud. De temps à autre, je replongeais dans un demi-sommeil, d’où me tirait quelque bruit, mais que je retombe dans les douces profondeurs du sommeil ou que j’écoute tempêter le vent, je sentais sourdre du fond de ma conscience une peur de plus en plus nette. J’avais peur de la pluie, peur de Szidike, peur car je ne savais pas embrasser ou parce que j’avais oublié au jardin un livre de mon père, or ces petites peurs n’affleuraient pas une à une en moi dans leur nature concrète, mais aussi grisouilles, diffuses et indistinctes que le voile de brume au-dessus de l’herbe.

Premier roman de Peter Nadas paru en 1967, La Bible s’affirme déjà comme un condensé des thèmes que le génial auteur hongrois n’aura de cesse d’explorer encore et encore dans les opus suivants : l’ambivalence de notre rapport aux choses et aux autres, l’impossibilité à communiquer vraiment, la relativité morale, etc. Mais, surtout, il s’affirme déjà, dès cette entame, comme l’un des esthètes les plus subtils de la littérature. Déjà dans La Bible, toute la complexité de son sujet fait corps avec son récit. Comme l’enfant est désemparé face aux pulsions contradictoires qui l’animent et ne peut reconnaître clairement à quels impératifs moraux il convient de les subordonner – ni même s’il convient ou non de les subordonner à quoi que ce soit -, le lecteur se retrouve confronté frontalement à la complexité inhérente au sujet. Chez Nadas, c’est le récit qui fait tout. Nous sommes seuls, sans narrateur, sans surplomb épistémique, comme l’enfant est lui aussi seul face à la violence dévastatrice et contradictoire de ses aspirations. Peter Nadas parvient à dire ce qui est inconscient, ce que nous enfouissons au plus profond de nous, précisément parce qu’il se refuse à le dire, mais se « contente » de nous le conter…

Peter Nadas, La Bible, 2019, Phébus, trad. Marc Martin.

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