« La Bombe » de Frank Harris.

La Bombeil y avait quelque chose de pourri dans une société qui abandonnait à l’oisiveté forcée des cerveaux bien pleins et des mains disponibles.

Le 4 mai 1886, alors que depuis plusieurs jours la police de Chicago s’en prend violemment aux grévistes et manifestants qui réclament de meilleures conditions de travail, se tient à Haymarket Square un meeting politique, rassemblant des centaines d’ouvriers, pour la plupart d’origine étrangère.  Les policiers, fidèles à leurs habitudes assaillent brutalement le rassemblement jusque là pacifique.  Soudain, une bombe explose.  L’explosion tuera huit policiers, en blessera des dizaines d’autres et sera à l’origine de mouvements sociaux sans précédents et d’un immense retentissement.

C’est leur ignorance qui en fait des esclaves.

En 1908, Frank Harris s’empare de ce fait mondialement connu (qui est entre autres à l’origine du 1er Mai) et de ses zones d’ombre pour livrer un roman d’une troublante actualité.

[La lutte entre patrons et employés] était envenimée par le ralliement à la cause des maîtres d’une écrasante majorité d’Américains de souche, au motif que les ouvriers étaient des immigrés et des intrus.

Revendication d’une allocation universelle, scandales alimentaires, mécanismes de corruption industrielle, fossé grandissant entre pauvres et riches, inanité de la presse, repli nationaliste, racisme larvé : le contexte de l’époque qui verra se lever, et se légitimer peu à peu, une violence en réponse à celle, omniprésente, de l’état et des possédants, n’est pas sans rappeler le notre.  A tel point que ce ne sont pas les germes de notre époque que nous pressentons dans la lecture de celle de Frank Harris, mais bien, et cela jusque dans certains de ses détails, notre temps lui-même.  Comme un aujourd’hui qui aurait commencé il y a bien longtemps et qui semblerait ne jamais devoir finir.

Je ne crois pas que les forts, les insolents, puissent renoncer à la tyrannie tant qu’ils n’auront pas pris peur devant ses résultats.

S’il montre certaines faiblesses (par ailleurs habilement dissimulées sous un « truc » formel simple mais efficace), et s’il ne s’éloigne pas d’un classicisme un peu convenu, le roman de Frank Harris nous démontre brillamment, si besoin en était, que la violence plonge toujours ses racines dans une autre.  Jusqu’à ce que l’une vienne légitimer l’autre.  Et, en cela, il demeure essentiel.

Je suis comme vous : je crois en la violence.  Elle justifie mes actes.

Frank Harris, La Bombe, 2015, La Dernière Goutte, trad. Anne-Sylvie Homassel.

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(1 commentaire)

  1. Envie de lire. L’histoire des luttes s’efface si vite sous l’amnésie des consensus.
    Et puis cet éditeur, La Dernière goutte, dont je veux maintenant découvrir le travail.
    Les passeurs que sont les libraires demeurent décidément irremplaçables.

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