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La douche. La suite.

 

Bon, si vous nous avez lu, sur Facebook, ou via d’autres ondes, ces derniers jours, vous aurez remarqué qu’il y était abondamment question de douches, de sans abri, de détecteur de mouvement, d’aménagement floral, de démontage, de grogne, de honte, etc… Pour ne pas nous répéter, on vous renvoie au premier épisode : premier épisode.

Le détail du second épisode (la lettre de madame Lalieux et notre réponse) est ci-dessous.

En résumé : Désemparés par une situation à laquelle ils ne savaient plus comment répondre, des gens ont commis une grosse boulette. Sans trop savoir de quoi il en retournait, leur cheffe a commis une autre grosse boulette. Se rendant compte de ces deux grosses boulettes – peut-être nos doléances, multiples et diverses, y ont-elles aidé – l’Échevine a décidé de « démanteler le dispositif inapproprié ».

Tout cela (et les exemples sont légion) nous rappelle, si besoin en était, à notre vigilance bienveillante mais déterminée.

Merci à tous.

 

Messieurs,

J’ai bien reçu votre message ci-dessous et à vrai dire serais disposée à y adhérer pour une grande part.

Je partage comme vous une profonde révolte contre la pauvreté et combat, avec les armes qui sont les miennes, le libéralisme sauvage qui la produit. Je n’ai pas LA solution qui permettrait de l’éradiquer mais je pense que de nombreuses initiatives prises, notamment par la Ville de Bruxelles, y contribuent.

Le Musée des Egouts a rouvert ses portes en novembre 2015 et connait depuis lors un certain succès grâce notamment à une équipe, réduite mais motivée, qui y assure un accueil de qualité. Mais la vie de ces employés n’est pas facilitée par la présence souvent pacifiques, parfois agressive, de familles entières qui y campent et y vivent dans des conditions indignes et pour tout dire, épouvantables. Chaque matin, les gardiens, anciens égoutiers reconvertis, demandent gentiment à ces personnes de quitter les lieux pour permettre l’accueil des visiteurs. Il y a quelques mois, l’un d’eux a subi un burn out dont il souffre toujours. A plusieurs reprises, la cellule spécialisée de la police, accompagnée des services sociaux de la Ville, a pris en charge ces familles. Ces mêmes familles ou d’autres y reviennent inlassablement. Certes, vous avez raison, ces faits témoignent d’une certaine impuissance des autorités à éradiquer les problèmes sociaux. Doit-on pour autant considérer que cet emplacement a vocation à accueillir ces familles aussi longtemps que nos villes connaitront le phénomène des sans-abris ? Doit-on se résoudre à fermer un musée, ou pourquoi pas, un centre culturel, une administration, un commerce, parce que d’aucuns considèrent qu’un sans-abri ne peut être déplacé ? Je ne le pense pas. Raison pour laquelle, après avoir organisé ces opérations avec les services sociaux, j’ai donné mon accord pour l’installation de bacs de plantes sur les marches des pavillons d’octroi qui abritent le musée.

Venons-en maintenant à ce dispositif de sprinklage. Jamais je n’ai donné mon accord à la pose de ce dispositif, qui s’est décidé entre différents services administratifs, et j’en ai été informée par un article dans la presse après que les équipes des musées m’aient informées qu’elles avaient répondu aux questions de médias. Moi-même sollicitée par une journaliste, et sur base d’un compte rendu oral, rapide et il est vrai sommaire, j’ai couvert et repris leurs propos parlant d’un dispositif d’arrosage. Ce n’est qu’ensuite que j’ai appris que le mécanisme était muni de capteurs et se déclenchait au mouvement, ce qui bien entendu rend absurde l’explication donnée. J’ai dès lors demandé l’arrêt complet du système le temps de me rendre sur place et de comprendre plus précisément la situation. C’est aujourd’hui chose faite et je vous informe que j’ai demandé le démantèlement de ce dispositif inapproprié.

Pour être complète, et ayant l’habitude d’assumer mes prises de position, j’estime cependant que cela ne clôture pas cette triste histoire. Je continue à penser que les sans abris n’ont pas leur place à cet endroit , qui est d’ailleurs une issue de secours, et que ce n’est pas aux équipes du musée à devoir gérer ce type de situation. J’ignore encore ce que nous pourrons faire mais ma volonté reste de trouver une solution, dans le respect de tous, les sans-abris comme les travailleurs.

Restant à votre écoute, je vous prie de croire, Messieurs, à l’assurance de mes sentiments les meilleurs.

Karine Lalieux

 

 

Madame,

 

C’est avec soulagement que nous pris connaissance de votre décision de démanteler le mécanisme incriminé. Nous vous avouons également être soulagés d’apprendre que vos « explications » étaient le fruit d’une méconnaissance des agissements d’une partie de votre administration.  Le seul fait d’envisager le contraire – qu’une autorité ait pu diligenter un procédé aussi inique, puis décidé de la couvrir aussi grossièrement –  faisait froid dans le dos. .. Nous espérons bien que ce démontage sera complet et qu’aucune trace n’en sera plus visible. Car sa fonction, faire fuir, opère autant par la menace qu’il fait peser et le symbole d’exclusion qu’il institue qu’en déversant des litres d’eau.

Sur le fond, croyez bien que nous comprenons parfaitement le désarroi qu’a pu ressentir le personnel du Musée.  Notre empathie n’est pas à géométrie variable. Ce désarroi n’est ni plus ni moins que celui dont, tous, nous pouvons faire l’expérience au contact obligé de l’extrême pauvreté. S’il permet cependant de comprendre même la mise en œuvre de cette « solution », il ne la légitime bien entendu jamais.

Nous comprenons également que vous ne souhaitiez pas voir, aux abords d’un Musée dont vous avez la charge,  l’image de celui-ci souillée par les signes de la misère. Comme personne ne désire côtoyer celle-ci au quotidien. Cependant, réfléchir la ville et en organiser l’aménagement en en expurgeant de fait les plus fragiles, ne fût-ce qu’en cartographiant les zones où ils seraient tolérés, celles où ils ne le seraient pas, n’est JAMAIS une solution. Non seulement parce qu’un quelconque cadastre de tolérance ou tout aménagement conçu dans ce but (un banc bombé, des plots, des grilles, des bacs de plantes…), suffit à déshumaniser la frange la plus exposée de notre collectivité. Mais aussi car ce rejet mécaniste et indiscerné conforte l’autre part de cette même collectivité dans un égoïsme d’autant plus mortifère qu’il n’est plus même conscient. Voir les plus fragiles d’entre nous devrait fonctionner comme une piqure de rappel, douloureuse mais nécessaire, nous enjoignant à comprendre que, sans doute, si nous en voyons les signes, c’est que nous n’en faisons pas encore assez dans notre lutte contre ce qui cause leur détresse. Cacher le pauvre, c’est l’oublier. Cacher le pauvre, c’est oublier que ce « nous » n’a pas grande valeur sans ce « lui ». Construire la mise à l’écart du miséreux, c’est s’exonérer, à moindres frais pour « nous », au prix incommensurable de sa dignité pour « lui », d’agir sur les causes de la misère. Rien, selon nous, de plus contraire à la mission du service public.

Nous vous prions d’accepter, Madame l’Échevine, l’expression de nos sentiments distingués.

 

Emmanuel Régniez

Emmanuel Requette

Lien Permanent pour cet article : http://www.librairie-ptyx.be/la-douche-la-suite/

(2 commentaires)

  1. lecomte jacqueline

    « ….les sans-abris n’ont pas leur place à cet endroit… »Madame, où ont-ils leur place ? Madame, où sont les toilettes publiques ? les bains-douches ? les abris respectant la dignité de chacun? Il n’est, pour moi, pas question de mettre en cause les BENEVOLES, les équipes qui sillonnent la ville pour apporter du soutien et un regard compatissant… non, il est question d’être cohérent, de permettre à toute personne de notre pays d’avoir un revenu qui lui permette de vivre DECEMMENT, d’avoir -véritablement- accès au logement (pas au taudis qu’on paye presque aussi cher !!) Il est grand temps que « nos » gouvernements protège les plus faibles d’entre nous. Je suis arrivée à Bxl avec un certificat d’indigence ..dans une main et un contrat de travail dans l’autre. Bien que très volontaire , ce sont les bonnes rencontres et la solidarité des amis qui m’ont permis de tenir debout les premières années…Je sais !!

  2. Carine H.

    Le coup du burn out, fallait oser quand même…

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