« La fin du monde n’aura pas eu lieu » de Patrick Ourednik.

 

Vous avez acheté mon livre? Vous avez eu tort.

La fin du monde reste une question sensible. Comme l’est, et pour des raisons peut-être pas si différentes, celle du futur antérieur. A notre époque où fleurissent les allusions eschatologiques, recoupant toutes les tendances – idéologiques, écologiques, religieuses, etc… – il n’est pas vain de rappeler que l’apocalypse est une mode ancestrale, qu’il n’est donc plus – du moins dans son acception commune – « à la mode » et donc que la fin du monde est un sujet éminemment original… Dans le même registre tortueux, qu’implique une négation appliquée à une phrase conjuguée au futur antérieur, si ce n’est que le fait qu’elle conjuguait – ici, la fin du monde – n’est pas certain? Ou plutôt, n’est plus certain, la négation impliquant le retour sur la certitude préalablement posée? Poser donc la non-certitude de la fin du monde en utilisant pour ce faire le futur antérieur dans un livre de fiction qui tournerait autour de la question de l’eschatologie reviendrait dès lors à placer le lecteur dans cette situation : si je lis cela, c’est donc que la fin du monde n’a pas eu lieu. Situation ubuesque, certes, mais sommes toute classique. On ne compte pas les romans, contes, fables, proses poétiques en vers, et autres genres qui ne s’y soient essayés avec plus ou moins de malheur.

-C’est bien triste, tout ça.

-Disons que ce n’est pas gai.

La différence, notable, est qu’ici le projet est bien de ne nous le faire regretter! Oui, da! Le constat, franc du collier, est en effet glaçant : comment se réjouir de la persistance d’un monde aussi crétin, où plaisanter ne se peut plus qu’en prévenant qu’on plaisante, où les crétins mous sont tués par les crétins sanguinaires, où les abrutis démocrates, devenus démocratiquement majoritaires, dénoncent, du fond de leur canapé, l’impossibilité à pouvoir exprimer librement une opinion dans les pays non démocratiques, alors qu’ils ont perdu la faculté de s’en forger une depuis belle lurette, et dont l’essence peut être tout entière résumée dans cette assertion :

La devise du Luxembourg était « Nous voulons rester ce que nous sommes ». 

Franchement, un monde pareil, il faudrait soi-même être devenu un parfait crétin, pour – à l’identique du luxembourgeois aspirant à demeurer ni plus ni moins qu’un luxembourgeois – aspirer à le voir perdurer…

Alors oui, évidemment, un dilemme se fait jour. Car regretter que la fin du monde n’a pas eu lieu impliquerait de facto, regretter notre lecture de La fin du monde n’aura pas eu lieu, rendue seule possible par la non-survenue de cette fin du monde ardemment souhaitée. Reste alors, à défaut de résoudre ce dilemme et de regretter qu’elle n’a pas eu lieu, ni qu’elle n’aura pas eu lieu, à espérer qu’elle aura bien lieu et à se réjouir, en lisant La fin du monde n’aura pas eu lieu, qu’elle vienne mettre un terme, définitivement, à ce à quoi elle n’aura, jusqu’alors, pas encore mis un terme.

Si c’est pas chouette.

Patrick Ourednik, La fin du monde n’aura pas eu lieu, 2017, Allia.

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