« La mer c’est rien du tout » de Joël Baqué.

La mer c'est rien du toutLa mer devait avoir des avantages puisque tout le monde allait s’y baigner, sauf nous. Mon père disait : « La mer c’est rien du tout, mais l’océan, ça oui c’est quelque chose! La mer c’est qu’un attrape-touristes! ».

Quelle chose étrange que la tentative de faire de cette somme de riens qu’on appelle sa vie le matériau d’un livre. Combien, souvent, y transparaît le vide de l’existence que ce livre paraissait devoir combler. A trop devoir servir les intentions de qui l’écrit, le livre, naviguant entre pathos psychanalytique et désir d’exister à tout prix, s’englue alors dans dans les poncifs d’une sentimentalité lourdingue avant de sombrer dans les abysses de la littérature complaisante. Trop souvent s’y contemple le coupable oubli d’une évidence : transformer ce qui vous arrive en littérature n’a finalement que très peu à faire avec ce qui vous arrive.

Une cousine avait rapporté de Lourdes une vierge Marie dont le plastique transparent permettait de voir le niveau d’eau bénite. La tête servait de bouchon. Un jour de grand soleil, je l’avais ramollie avec une loup et remise à sa place sur la table de chevet. J’espérais que ma mère crierait au miracle (mais c’est mon père qui a crié)

Une autre possibilité surnaturelle eût été d’y introduire un des comprimés de ma mère. Ce miracle de la vierge effervescente, je l’ai conçu puis oublié jusqu’à maintenant où c’est trop tard, j’ai passé l’âge de faire des miracles.

En courtes « capsules » – comment les nommer? – Joël Baqué nous emmène à travers son enfance. Entre un père odieux, une mère dépressive, une sœur canon, un frère pédé, on le voit se construire peu à peu, par le sport, par le métier, par la littérature. Entre auto-dérision et éclats de rires, on quitte subrepticement l’auto-évocation, le simple déroulement de souvenirs épars de l’auteur en construction, pour embrasser le récit touchant d’un drame. Et au fil d’impressions quasi pointillistes, Joël Baqué parvient à construire une narration dont les outils se forgent finalement sous les yeux du lecteur.

On n’employait jamais de mots pour le seul plaisir de les dire.

De cette famille où le père, tellement insupportable qu’il en devient – presque, faut pas déconner – attachant, manie un discours charriant une brouette de préjugés à chaque phrase, où chaque mot – comme tout le reste – n’est là que pour « être utile », de ce lieu social où « il faut faire attention », où tout « coûte bonbon », où « on ne veut pas d’histoires », où « on est un peu juste », de cet univers, l’auteur va s’extirper par le langage. Ce qui se lit dans La mer c’est rien du tout, c’est la magie en acte de la littérature. Alors que le milieu dans lequel il grandit se défie à ce point des mots qu’il les scelle dans la chape de plomb d’un conformisme sans concession, l’auteur s’y forge une conscience de la puissance de ceux-ci, pour in fine, rendre grâce à ce qui y germe de plus beau.

Ma sœur c’était sa beauté à elle, mon frère son bégaiement à lui. Ces lignes, c’est votre lecture à vous (c’est notre partage à nous).

Joël Baqué, La mer c’est rien du tout, 2016, P.O.L.

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1 Commentaire

    • Gregoire Blancafol sur 7 décembre 2016 à 18 h 15 min
    • Répondre

    Cette autofiction est d’une créativité, d’un humour, d’une subtilité et d’une exigence littéraire hors du commun. Captivant et émouvant de bout en bout.

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