« La possibilité du cosmopolitisme. Burqa, droits de l’homme et vivre-ensemble » de Constantin Languille.

Possibilité du cosmopolitismeLire se révèle parfois un exercice à double (voire triple) tranchant.  D’un côté, on est bluffé par l’ampleur d’un discours, par sa réussite incontestable à dresser un catalogue presque exhaustif des questions qu’il se proposait de mettre à jour ; de l’autre, on ne peut que s’interroger sur les buts inhérents à une telle volonté exhaustive.  Autrement dit, est-ce que dresser le catalogue des questions, aussi brillement soit-il, se suffit ou y faut-il, pour que l’exercice puisse être reconnu comme complet, y ajouter la marque d’un choix de l’auteur?  C’est un peu à cet exercice que nous invite, inconsciemment sans doute, Constantin Languille.

Il ne faut pas sous-estimer la capacité des discours politiques à façonner la perception des citoyens et à nourrir un processus d’exclusion, au terme duquel l’autre devient figure mythique et menaçante, contre laquelle doit être trouvée une sinistre « solution finale ».

Le livre revient sur l’interdiction de la burqa en France et se propose d’en explorer les causes profondes.  Puisant avec brio et intelligence dans les documents à sa disposition, tant juridiques que politiques ou statistiques, établissant des liens avec les situations dans d’autres états, utilisant l’outil comparatif (à bon escient, ni trop ni trop peu) avec d’autres situations pouvant l’éclairer, il dresse une cartographie incontournable de la question.

Là réside le cœur de l’islamophobie : dans l’association immédiate entre le constat ou la supposition de l’appartenance à la confession musulmane et un ensemble de clichés conduisant à transformer le sujet en étranger par la magie d’un seul regard et des représentations mentales qui lui sont associées.

Un des premiers mérites de l’ouvrage est d’implacablement replacer cette loi sous l’égide de ce qui la gouverne : l’islamophobie.  Plongeant au cœur du droit même, Constantin Languille dénoue les fils hypocrites, conscients ou non, avec lesquels beaucoup ont tissés des voiles pudiques sur une forme d’exclusion de l’autre qui ne veut pas dire son nom.  Cela aussi (et c’en est, ici du moins, une de ses forces) sans chercher à culpabiliser qui s’en rend coupable, se bornant à l’expliquer.  Qu’on cherche à la légitimer par les atours de la laïcité (mais laquelle), de la liberté ou de la dignité, rien n’y fait! toujours c’est bien l’islamophobie seule qui peut valablement justifier la loi de l’interdiction de la burqa.  Ce que décèle l’auteur, ce sont ces confusions sur lesquelles prospèrent, souvent malgré ceux qui les alimentent, les idées les plus nocives.  Ainsi en va t’il d’une laïcité que l’on « charge » différemment selon qu’on l’envisage dans un contexte public ou privé mais qu’on utilise indifféremment (feinte consciente ou inconscience maladroite) pour justifier le recouvrement de l’un par l’autre.  En effet, d’un devoir laïque d’état (l’état ou ses représentants ne peuvent manifester ostensiblement leurs convictions religieuses) la laïcité devient une contrainte individuelle (c’est l’exercice individuel que chacun – représentant de l’état ou non – fait de ses convictions qui est ici prohibé).  Justifier l’interdiction de la burqa en en appelant à la laïcité ne peut que se faire qu’en biaisant la signification même de laïcité.  Ainsi cette loi, loin de défendre les principes d’une société (et celle loi elle-même s’en affirmant l’un des remparts essentiels) les sapent irrémédiablement, et d’autant plus sournoisement qu’elle prospère sur le terreau de la confusion du langage.

Peut-on fonder une communauté politique exclusivement sur l’universel?  Peut-on vivre ensemble lorsque l’on ne partage plus que la démocratie et le droit de chacun à être différent?  Telles sont les questions que pose l’épisode du voile islamique.

Creusant les limites de la tolérance (la tolérance suppose t’elle per se d’être tolérant à l’égard des intolérants?), précisant qu’une communauté ne trouvant plus comme ultime point de rassemblement que la nécessité de protéger chacun de ses membres de la mort ne peut fatalement qu’achopper sur la notion de martyre, rappelant à propos les distinctions entre droit et morale, soulignant les différences entre deux modèles (l’européen et l’américain), différences qui démontrent bien que chaque modèle, valide sans être parfaitement opérant, repose sur des choix, l’auteur brosse un portrait saisissant de réalisme des enjeux que soulève cette loi.  Mais s’y arrête.  Et peut-être un peu trop abruptement.

A force de détailler (finement) les données d’une problématique, d’en explorer profondément les sentiers, les impasses, mais sans jamais sembler choisir (voire même en semblant poser tout choix comme foncièrement dommageable), l’auteur en vient à faire ressentir à qui lit soit l’impression d’être confronté à un scepticisme militant, soit celle d’avoir affaire à un « prudentisme » stérile, soit encore d’avoir quelque chose à dissimuler dans l’entrelacs des données qu’il distille.  Chaque parcelle du discours pouvant alors être lue au prisme d’une certaine méfiance.  La phrase sur laquelle se clôture le livre paraissant alors plus programmatique que simplement conclusive :

Et c’était précisément la fonction des nations que de constituer cette médiation [entre individu et totalité du monde].

Comme si tout ce que nous venions de lire, mis sur un même pied, pouvait être lu comme une vaste introduction à une nécessité nationale…  Ce livre est donc bien un incontournable.  Mais un incontournable dont il convient (peut-être) de ne pas être dupe.

Constantin Languille, La possibilité du cosmopolitisme.  Burqa, droits de l’homme et vivre-ensemble, 2015, Gallimard.

Lien Permanent pour cet article : https://www.librairie-ptyx.be/la-possibilite-du-cosmopolitisme-burqa-droits-de-lhomme-et-vivre-ensemble-de-constantin-languille/

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.