La réponse. Et la réponse à la réponse.

bad guy

Le premier décembre dernier, nous envoyions une lettre ouverte à Madame la ministre Joëlle Milquet, faisant état de ce que nous considérions comme des « dysfonctionnements » dans l’organisation des subsides octroyés aux maisons d’édition par la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Nous avons reçu le 17 décembre une réponse.

Nous rendons celle-ci publique. Ainsi que nos réactions.

Et après c’est tout!

Enfin, pour l’instant…

 

Cher Monsieur Requette,

J’ai pris connaissance avec attention de la lettre ouverte que vous m’avez adressée ce premier décembre 2015 et vous remercie pour votre envoi.

Dès mon entrée en fonction, j’ai clairement annoncé mon intention de bouger les lignes dans le secteur culturel, secteur qui doit évoluer et être pleinement ancré et adapté face aux nouvelles réalités auxquelles nous devons faire face.

J’ai, dès lors, mis en place une opération de concertation prospective intitulée « Bouger les Lignes » composée de six coupoles. Un site internet est dédicacé à cette opération, www.tracernospolitiquesculturelles.be, je vous invite à le visiter et à prendre part à cette opération d’écoute et de construction des politiques culturelles du XXIème siècle par les acteurs de terrain.

Ce 1er décembre, la 2ème phase de concertation publique au sein du groupe de travail « Artistes au centre » a été organisée sous forme d’un atelier à Namur sur le thème du livre et de l’édition. Tous les acteurs étant liés, de près ou de loin, à ces disciplines étaient les bienvenus afin d’exposer leurs idées ainsi que débattre avec les différents opérateurs des secteurs culturels concernés.

De manière générale, la Fédération Wallonie-Bruxelles dispose de maisons d’édition de très petite taille dans le secteur littéraire qu’il importe de soutenir si l’on veut que nos auteurs puissent encore être publiés. On connait les difficultés de ce secteur. En 2010, en interne, l’Observatoire des politiques culturelles avait fait l’analyse financière des comptes annuels des maisons d’édition subsidiées par la Fédération et avait mis en avant la fragilité du secteur, insistant sur le fait que les subventions de la Fédération étaient vitales dans l’équilibre financier de ces maisons d’édition. Un autre étude réalisée, en 2004 par Marc Minon, avait mis en lumière le faible poids économique du secteur comparé à son important rôle culturel, la taille modeste sinon artisanale des structures, un ancrage local affirmé et l’importance (la difficulté aussi) de l’accès au marché français. Ces analyses sont encore d’actualité aujourd’hui. Les difficultés sont encore renforcées, avec le contexte actuel qui se caractérise par une érosion du lectorat, une surproduction de titres entraînant une rotation accrue des ouvrages en librairie, etc. Les subventions que nous accordons aux maisons d’éditions littéraires conventionnées sont subordonnées à un nombre de volumes à produire, à un tirage, au respect de la législation sur les droits d’auteur, à l’existence d’une distribution et diffusion professionnelles tant sur le marché belge que français, de même que la nécessité d’assurer la promotion des ouvrages publiés. Le montant de la subvention ne peut dépasser 50% des recettes propres générées par l’activité éditoriale de l’éditeur. Il faut bien être conscient que la plupart de ces petites structures fonctionnent avec un minimum de frais de personnel.

Le respect de ces éléments est analysé par l’Administration générale de la Culture qui analyse également les comptes et attire l’attention de l’opérateur en cas de difficulté. Il est arrivé de fait qu’un éditeur ait fait faillite en cours d’année alors qu’une première tranche de subvention lui avait été versée dès le début de l’année. Bien entendu, le solde de la subvention ne lui a pas été versé dès que la faillite a été constatée.

Votre lettre ouverte semble plaider pour ne pas verser de subside structurel à ces maisons d’édition. Cela risque de les mettre en grande difficulté. Par ailleurs, comment financer un livre littéraire publié? Comment juger de la qualité littéraire? Il s’agit là d’un critère éminemment subjectif et il est, je pense, préférable de faire confiance à l’éditeur responsable d’une collection.

Toutefois, en ce qui concerne les quelques petites maisons d’édition en bande dessinée de création, la politique choisie a été d’octroyer les subventions aux projets sur base d’un avis de la commission BD. Les commissions d’avis sont composées de spécialistes des secteurs et il va de soi que lorsqu’il s’agit d’émettre un avis dont un des membres serait d’une façon ou d’une autre partie prenante, ce membre ne participe bien évidemment pas à la discussion. Les autres membres se sentent bien entendu libres d’émettre un avis qui serait négatif. Dans le cas soulevé dans votre lettre ouverte, la maison d’édition a de fait édité un livre dont un des membres de la commission est l’auteur. Cet auteur jouit d’une reconnaissance importante dans la bande dessinée de création. Pour assurer la transparence des instances d’avis, un rapport annuel et un bilan public ont lieu chaque année.

Bien consciente du rôle des instances d’avis et des questions que peuvent susciter leur composition et leur avis, j’ai annoncé, dès ma prise de fonction, une réforme des instances d’avis, plusieurs d’entre elles ont déjà été saisies et invitées à me proposer des éléments de réforme. Cette thématique fera également objet de la coupole « Nouvelle gouvernance » de l’opération « Bouger les Lignes » qui sera lancée en janvier prochain.

La totalité des conventions en matière d’édition littéraire arriveront à terme en 2016. Il a dès lors été décidé, il y a quelques mois, qu’un groupe de travail, composé de membres de l’Administration générale de la Culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles et d’éditeurs se mettraient en place début 2016 pour réfléchir aux mécanismes et critères d’aide à l’édition en Fédération.

En restant à votre disposition, je vous prie de croire, cher Monsieur Requette, à l’expression de ma parfaite considération.

Joëlle Milquet.

 

 

 

Et donc notre réponse :

 

Madame la Ministre,

 

J’accuse bonne réception de votre réponse à ma lettre ouverte et vous en remercie. Je me permets ci-après d’y répondre à mon tour. Non que je veuille à tout prix maintenir une correspondance suivie indéfiniment mais certains points que vous y soulevez me semblent requérir une (ultime?) précision.

Je passe tout d’abord sur ses aspects purement rhétoriques.  Entre déclarations d’intentions de bon aloi et peinture d’un état de fait incontestable, je ne crois pas qu’il soit utile de plus s’étendre sur des évidences dont le propre est d’être unanimement partagées. Venons-en à ce qui semble nous séparer…

 

  1. Vous vous référez à quelques reprises à la tenue de discussions, de groupes de travail, de coupoles de réflexion, de concertation, etc… que vous avez initié relativement à l’avenir des politiques culturelles en Fédération Wallonie-Bruxelles. Allusivement ou non, vous nous invitez à « prendre part à cette opération d’écoute et de construction ». Il nous est difficile de n’y pas lire un reproche – quand bien même il serait voilé – quant au caractère public de notre démarche. Cette lecture étant d’autant plus justifiée qu’elle s’appuie sur des remarques récurrentes faites à notre encontre issues d’une partie (celle se sentant sans doute mise en cause) du milieu éditorial de la FWB. Pour les suivre, tout est simple : c’est dans le cadre de réflexions internes au secteur que celui-ci pourra au mieux « faire face aux défis de demain ». Nous ne partageons nullement ce point de vue. Non que nous contestions bien entendu l’utilité de ces rencontres spécialisées. Bien au contraire, elles sont essentielles. Mais nous pensons aussi que ces débats entre « opérateurs » d’un secteur s’amputent de facto de toute légitimité si ces « opérateurs » ne veillaient plus à se référer systématiquement au regard du public. Public auquel – dans le cadre d’une politique…publique – ces mêmes « opérateurs » sont, qu’ils le veuillent ou non inféodés. A force de se cantonner à cet entre-soi de spécialistes discutant des modes de répartition de l’argent public, on en vient – et la situation actuelle nous parait en apporter des preuves indéniables – à oublier qu’il s’agit, justement, d’argent public.
  2. Nous ne sommes effectivement pas favorables à une aide structurelle dans le milieu éditorial, préférant à ce mode d’aide que nous jugeons « à l’aveugle », une organisation fondée sur des projets. Vous dites que certains éditeurs en subiraient de grandes difficultés… Je vous retourne que si la qualité des projets que ces éditeurs portent ne devaient plus leur être reconnue, et donc ne plus leur valoir de subsides, eh bien, c’est que le but culturel que l’attribution de ces aides poursuivait auparavant n’avait pas été atteint. Je note par ailleurs plusieurs contradictions d’envergure dans vos propos. Vous arguez de la subjectivité à l’oeuvre dans la reconnaissance ou non du caractère qualitatif d’un projet en littérature pour ne pas avoir à délibérer sur des projets, mais adoptez par contre cette même procédure pour la bande dessinée?!? Ensuite, ne sont-ce pas les mêmes critères subjectifs auxquels vous requérez pour attribuer des aides, non à un projet, mais à un éditeur?!?
  3. Vous faites état que « le montant [des] subventions ne peut dépasser 50 % des recettes propres générées par l’activité éditoriale de l’éditeur ». Nonobstant le flou relatif au terme « recettes propres » – s’agit’il des recettes brutes, nettes? Quid des frais de diffusion/distribution? -, cette limite est elle-même fondée sur un rapport tout à fait aberrant : au plus de recettes, au plus d’aides! Ainsi privilégie-t-elle de facto les éditeurs à « grosse production » et les encourage-t-elle à « miser » sur des titres à fort potentiel commercial. Toutes choses fort éloignées de l’objectif qualitatif qu’un subside culturel se doit de promouvoir.
  4. Revenant sur notre exemple, vous déclarez avoir interrompu le versement d’aides à un éditeur, sa faillite ayant été constatée. Encore heureux… Vous vous méprenez sur le sens que nous donnions pourtant clairement à cet exemple. Il n’était là que pour démontrer, par l’absurde, le manque de rigueur avec lequel l’administration contrôlait l’utilisation des sommes qu’elle alloue. Tant sur les comptes (non dûment vérifiés car, pour partie, non légalement déposés) que sur les conditions contractuelles liant les éditeurs et l’administration, il est un euphémisme que de dire que les vérifications ne sont pas « optimales »…
  5. Concernant notre constatation de conflit d’intérêts au sein de la commission BD, votre réponse nous semble être une illustration remarquable de la sophistique. Premièrement, si l’un des exemples que nous extirpions du fonctionnement de cette commission était particulièrement parlant, ce qu’il illustrait ne se limitait nullement à lui. Il a d’autant mieux valeur d’exemple qu’il révèle la récurrence d’un comportement – au sein de cette commission comme en d’autres lieux de l’aide à l’édition. Tenter de circonscrire notre constatation d’une situation de conflit d’intérêt structurelle à un fait ponctuel est au mieux réducteur. Deuxièmement, vous abusez de « bien entendu », de « il va de soi » et d’autres adverbes en appelant à l’évidence, d’autant plus abondamment que les faits que ces adverbes sont censés soutenir ne ressortent nullement de l’évidence. « Bien entendu », le membre à qui sera octroyé une aide ne participe pas à la discussion? Rien ne le documente, ni ne le réglemente! « Bien entendu », les membres « se sentent libres » (sic) d’émettre un avis qui serait négatif? Un minimum de psychologie pousse à penser une évidence contraire : quiconque ayant à juger, au sein d’une commission, de la pertinence d’octroi d’une aide à un collègue de cette même commission, aura beau se « sentir » aussi libre qu’il le veut de l’octroyer ou non, il ne le « sera » jamais! Et c’est précisément pour ces évidentes raisons qu’existent des dispositions réglementant le conflit d’intérêts… Enfin, vous en référez à la transparence. Effectivement, les bilans renseignent bien factuellement (soit directement soit par d’aisés recoupements) l’ensemble des comportements que nous avons pu constater. Et c’est heureux ainsi. Mais la transparence (un minimum selon nous, lorsqu’il s’agit d’argent public) n’exonère nullement de la responsabilité des faits qu’elle permet de constater. Sous prétexte que rien ne serait dissimulé, tout ce qui est « transparent » deviendrait « pur ». A l’ère du « tout-disponible » et sous l’apanage d’un facile « Je rends tout visible, donc il n’y a rien à voir » la transparence peut devenir un redoutable cache-sexe éthique. La transparence n’est ni une fin, ni un gage. Elle est le début indispensable d’un contrôle par chacun de ce qui est fait du commun. Et ce qu’elle fait mine de désamorcer en ne le dissimulant pas n’en devient pas magiquement moins scandaleux que s’il avait été habilement caché.

 

Nous prenons bonne note des intentions de changement que vous nous assurez vouloir insuffler. Les constats que nous avons pu faire en démontrent l’urgente nécessité. Nous veillerons de notre côté à ce que ces intentions ne restent pas lettre morte.

 

Nous vous souhaitons bonne réception de la présente et vous prions d’agréer, Madame la Ministre, nos sentiments les plus distingués.

 

Pour Vies Parallèles,

Emmanuel Requette.

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