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« La Route de campagne » de Regina Ullmann.

 

j’ai rarement entendu quelqu’un parler avec tant de beauté.

Il aura donc fallu attendre 96 ans (94 pour les lecteurs de langue anglaise) pour qu’un des textes majeurs de la littérature d’expression allemande soit enfin traduit en français! Et cela alors même que l’oeuvre de Regina Ullmann fut en son temps encensée par des monstres consacrés comme Musil, Hesse ou Rilke. Ce dernier n’hésitant pas à la proclamer supérieure à lui. L’histoire a parfois de ces ratés…

C’était une journée tout à fait claire, celle où la montgolfière devait prendre son envol. Si l’on faisait mine de tendre les bras comme pour l’attraper, cela n’avait pas du tout l’air stupide ; parfois le monde entier est comme peint sur de la porcelaine, y compris les dangereuses fêlures.

Chacune des nouvelles qui composent ce recueil est habitée – littéralement habitée – par des personnages de peu : des très vieux, des « simples d’esprit », des très jeunes enfants. La plupart sont placés face à un événement finalement assez bénin : l’envol d’une montgolfière, une cueillette de fraise, une errance. Mais cette banalité, chez Regina Ullmann, se trouve transfigurée par l’extraordinaire – littéralement extraordinaire – liberté qu’elle utilise pour les raconter. En heurtant la syntaxe, en entremêlant les registres du discours ainsi que les genres auxquels on les assimile habituellement, en insécurisant le lecteur mais sans chercher à le perdre, Regina Ullmann construit un étrange mais précieux monument à la littérature.

Le monde d’Ullmann est un monde immanent, mais pas sans Dieu; un monde empli d’éons irréductiblement solitaires, mais rendu possible par l’amour qu’ils éprouvent l’un pour l’autre; un monde fragile, mais qui serait invivable sans cette fragilité. D’un phrasé libre et détaché des conventions mais bien plus construite qu’il n’y peut paraître au premier abord, chaque nouvelle de Regina Ullmann offre au chanceux qui la lit l’occasion de goûter ensemble la force et la grâce.

Et c’est le monde qui fait tenir l’édifice de la personne humaine, comme un mortier.

Regina Ullmann, La Route de campagne, 2017, Circé, trad. Sibylle Muller.

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