« La théorie de la relativité d’Einstein » de Ernst Cassirer.

Si pose problème la coexistence dans un même cadre de deux propositions valides, ou si, dans ce même cadre encore, deux définitions se rapportant au départ à deux objets radicalement séparés en viennent à rendre indiscernable l’un de l’autre ces deux objets, sous doute peut-il être judicieux de changer ce cadre. C’est, pour faire simple, l’option radicale que défendit Einstein lorsqu’il créa sa théorie de la relativité. Le cadre en question suppose l’invariance du temps et de l’espace? Il repose sur l’identification de la masse inerte et de la masse pesante? Bâtissons-en un qui postule la relativité du temps et de l’espace et qui déconstruise le concept de matière au profit de celui de champ. Faisons du problème un postulat.

De nouveau nous nous retrouvons ici face à l’un de ces triomphes du concept critique de fonction sur l’idée naïve de chose et de substance, comme l’histoire de la science exacte ne manque pas de le relever progressivement.

Comme le disait Einstein lui-même au sujet de sa théorie, l’un de ses résultats essentiels était d’avoir ôté à l’espace comme au temps – ou à la matière – « le dernier résidu d’objectivité physique ». Entendue – fautivement – dans son sens vulgaire, cette assertion pourrait recouper l’impression, que nous ressentons tous, d’une coupure entre l’appréciation de l’espace et du temps physiques, théorisée par le natif d’Ulm, et celle dont nous pouvons faire l’expérience intuitivement. Ce serait oublier que cette disjonction, même si elle paraît effectivement s’achever avec l’invention de la théorie de la relativité générale, était déjà opérante avec la cinématique galiléenne. Ce que veut dire le scientifique Einstein, et qu’a parfaitement compris le philosophe Cassirer, c’est que la théorie de la relativité prouve l’opérabilité de celle de la connaissance.

Ce qui disparaît un peu plus avec la théorie de la relativité c’est l’idée naïve que puisse exister réellement tout objet, toute substance, dont nous ne pourrions atteindre, toujours approximativement, des impressions qu’en progressant d’un raffinement empirique à un autre. Ce qu’atteste avec éclat la découverte de l’espace-temps, c’est la fin de l’invariance objectivale. Mais aussi, et c’est là tout le travail d’analyse que poursuit Cassirer dans ce livre, la fin de l’objet naïf, de la chose dans son acception substanciale, ne signifie en aucun cas une victoire du scepticisme, du relativisme, ou le surgissement du règne de la post-vérité. Car la fin de l’objet qu’entérine la relativité générale ne signifie aucunement une faillite de la connaissance mais au contraire, et à rebours de la conception vulgaire d’insécurité que véhicule la fin d’une saisie sensualiste du monde, la validation de son propos critique. L’objet de la connaissance n’est pas l’objet et n’a nul besoin d’en postuler l’existence. Par là est désarmé le sceptique lui-même qui a besoin qu’un objet soit posé en absolu avant de pouvoir déplorer – ou se réjouir – qu’il ne puisse jamais l’atteindre.

Une propriété de l’objet n’indique aucun « en-soi » de l’objet mais un mode de relation qui l’enchaîne à d’autres et dont la connaissance a pour but de dégager les principes généraux – voire d’en proposer a priori. L’objet n’est que relation. Ainsi l’objectivité empirique, qui reposait entièrement sur l’invariance de l’objet, maintenant caduque, est remplacée – en quelque sorte réifiée – par celle de lois dont l’invariance confère à l’acte de connaître sa solidité et sa validité. Avec Einstein, et Cassirer, l’objet est remplacé par la forme.

À l’heure où plus que jamais les rapports entre pensée, technique et réel doivent être envisagés sous de nouvelles coutures moins naïves, la philosophie des formes de Cassirer, dont il est possible de découvrir les germes ici, est absolument incontournable. À rebours des relativismes ou des scepticismes aujourd’hui fort à la mode, il démontre qu’il est tout à fait possible que coexistent validement divers modes d’appréhension du réel s’ils sont envisagés, non plus comme des objets – et à la notion d’objet est toujours, quoi qu’on en pense, attachée celle d’absolu – , mais comme des relations.

Ernst Cassirer, La théorie de la relativité d’Einstein, Éléments pour une théorie de la connaissance, Le Cerf, trad. Jean Seidengart.

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