« L’Amérique défaite » de George Packer.

Amerique défaiteSous la surface de la vie, il n’y avait rien de ferme sur quoi se tenir.

Oprah Winfrey, Joe Biden, Raymond Carver, Sam Walton (le créateur de Wal-Mart) sont quelques-unes des têtes connues dont George Packer nous conte les trajectoires dans « L’Amérique défaite ».  Mais on y lit aussi les récits de Dean Price, de la famille Hartzell, de Jeff Connaughton ou de Thammy Thomas.. . Tous personnages dont les noms ne vous disent rien car l’Histoire américaine ne retient plus que les noms de la réussite la plus ostentatoire et rejette dans ses limbes ceux qui peuvent symboliser sa faillite ou sa remise en question radicale.  Ce dont ces noms sont précisément les marques.  D’où l’importance du travail de George Packer qui cherche à brosser un portrait plus complet – et complexe – de cette Amérique de plus en plus duale.

Et ce n’est qu’après sa mort, quand son péquenaud de fondateur ne fut plus là pour donner un visage à Wal-Mart, que le pays commença à comprendre ce que la compagnie avait fait.  Au fil des ans, l’Amérique était devenue comme Wal-Mart.

En contrepoint de l’histoire de la Silicon Valley, image d’Epinal d’une Amérique d’un succès bâti sur la dématérialisation de l’économie, il y a celle de Yougstown qui verra en quelques décennies se détricoter son dense réseau industriel tout entier tourné vers l’acier.  A l’histoire d’un Wall Street qui verra se gonfler en quelques années les rangs de ses multimillionnaires lui répond celle de Tampa où, en quelques mois, la fièvre immobilière la plus folle laissera place à une panique dévaluative sans précédent.  Le rêve américain en panne, c’est ce qui intéresse l’auteur.  Et plus loin que le constat, remarquablement dressé ici, c’en sont les causes profondes qu’il explore en conjoignant le récit de ses excès les plus fous et celui des conséquences que ces excès font irrémédiablement peser sur l’ensemble d’une communauté.

La titrisation paraît d’un premier abord sans lien aucun avec les dentiers de la famille Hartzell, tout comme la morale pingre d’un Sam Walton semble bien éloignée des conséquences désastreuses que sa création, Wall-Mart, aura sur la santé des américains.  Avec une finesse redoutable, de ces portraits intimes, George Packer, tisse un portrait d’une Amérique en crise, contrastée, très loin de nos clichés européens.  L’air de rien, par fines touches successives il nous donne à lire au travers de la réalité crue des faits, les rapports qui les animent.

Il parvenait à voir les vérités cachées derrière la surface de la terre.  Certains soirs, il s’asseyait sous son portique, un verre de Jack Daniel’s à la main, et il écoutait les camions qui filaient vers le Sud sur la route 220, emportant des caisses de poulets vivants vers les abattoirs – toujours à la faveur de la nuit, comme un vaste et honteux trafic -, des poulets tellement gavés aux hormones qu’ils ne pouvaient même plus marcher – et il se disait que ces mêmes poulets reviendraient sous forme de morceaux de viande sous les lumières du Bojangles’ en haut de la colline, et ces morceaux de viande seraient plongés dans l’huile bouillante par des employés qui détestaient tellement leur boulot que cette haine pénétrai dans la nourriture, et cette nourriture serait servie et mangée par des clients qui deviendraient obèses et finiraient à l’hôpital de Greensboro pour traiter leur diabète ou leur insuffisance cardiaque, une charge pour la collectivité, et plus tard, Dean les retrouverait sillonnant les allées du Wal-Mart de Mayodan dans des voitures électriques par ce qu’ils seraient trop lourds pour marcher, comme les poulets nourris aux hormones.

Et ce tissage est – oh combien! -, œuvre de littérature!

George Packer, L’Amérique défaite, portraits intime d’une nation en crise, 2015, Piranha, trad. Etienne Dobenesque.

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