« L’avenir seul » de Arseni Tarkovski.

avenir seulJe suis débiteur,

Et ne demande rien.

A la lenteur avec laquelle nous est parvenue en français la poésie du père du réalisateur de Solaris répond le temps long de sa maturation même.  C’est, et la postface y revient, une des impressions qui frappent dès l’abord à sa lecture : celle d’un temps à l’œuvre.  Non donc le travail sans cesse remis sur l’œuvre, le retour incessant sur la phrase, son cisellement, mais bien la seule action du temps, maturant l’œuvre, la phrase, du simple fait de passer sur le poète, y déposant le limon de ses drames.

Tout notre passé ressemble à une menace.

Une jambe perdue (laissée à la terre) en 1942, des amis trop tôt disparus (Tsvetaieva, Mandelstam), la poésie de Tarkovski, si elle s’ancre aussi dans la nostalgie, ne l’y limite pas.  Car, à l’envie du retour d’un temps « innocent » se mêle la clairvoyance d’un avenir moins hanté par le passé que menacé par le retour du pire.

Comme j’ai peur de t’oublier

[…]

et de nouveau dans ton poème

t’inhumer.

Il y a souvent un « tu » chez Tarkovski.  Celui du poète ami disparu, ou un autre, moins défini, dont l’identité semble moins destinée à être devinée qu’à simplement rester indéterminée, toute entière baignant dans un Autre en puissance.  Comme pour en marquer la nécessité irréductible.  Et dans ce glissement de l’être à l’autre, se devine « l’utilité » d’une parole poétique, à la fois dépositaire de ce passage, l’attestant, et en disant toute la difficulté.  En faisant ressortir à la fois la force tranquille et la nostalgie comme définitive de ce qui est impossible.

L’air glacé garde encor des battements de main.

Dire l’évanescence, ce qui loge dans l’absence.  Quand Tarkovski dit de Zabolotski : « ta voix ne dit rien, c’est le sang dans les oreilles », c’est presque un leitmotiv de sa propre poésie.  L’acte poétique est ce qui fait accéder cette pulsation au mot.  Il est la parole du souvenir de la pluie tombée sur l’arbre dont est tissé le papier sur lequel le poète écrit.  La poésie est passage.  Et le poète, à la fois pécheur et Charon.

Et je suis de ceux qui ramènent le filet

Quand l’immortalité est venue en bancs.

Arseni Tarkovski, L’avenir seul, 2013, Fario, trad. Christian Mouze.

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