« Le Monde horizontal » de Bruno Remaury

Et dans ces années-là, la grande raison majuscule leur chuchote tous les jours à l’oreille que l’on ne doit voir que ce que l’on sait et ne croire que ce que l’on comprend

Que se passe-t-il entre le geste qui fabrique la main négative sur la voûte d’une grotte de Gargas en Haute-Pyrénées il y a 30000 ans et celui qui illustre une main sur une toile posée au sol par Jackson Pollock vers 1950? La seconde n’est-elle qu’un souvenir inconscient de la première? Une de ses reprises émues? Une allégeance à quelque chose de disparu? Et, dans ces deux gestes qu’apparemment beaucoup réunit malgré les nombreuses années d’écart, n’est-il pas possible de lire, a contrario, une différence si radicale qu’elle exprimerait le passage d’un monde à un autre. De celui où l’on se dresse dans la pénombre pour tendre une main de celui où l’on se baisse pour tourner autour d’une toile destinée à devenir le support d’une idée. De celui d’un monde vertical à celui d’un monde horizontal.

Et nous à notre tour de dire que ces mains-là, devant lui, dans cette auberge, sont les filles fidèles et respectueuses de celles qu’il a laissées dans la grotte là-bas, et que toutes ces mains levées et consacrées sur la roche colorée sont là pour racheter les souffrances de celles ici-bas laborieuses et quotidiennes

Bruno Remaury entremêle l’histoire d’une grotte à celle d’une catastrophe minière, celle de la découverte de l’Amérique à celle de la migration d’Anne aux USA, celle, fictive, d’une fille de bonne famille française, Marie, à celle d’une autre fille de bonne famille, américaine et bien réelle celle-là, Diane Arbus. Fragments après fragments, il constitue ainsi peu à peu les lignes de force d’une idée originale : le monde est devenu, pour l’homme, une surface qui peut s’étendre sans fin. Et la découverte, aussi émerveillée qu’étonnée, de ce constat est rendue d’autant plus prégnante que l’auteur en distille subtilement les conditions de germination chez le lecteur plutôt que de s’ingénier à tout prix à l’en convaincre. Mélange d’un concept fort et d’une forme efficace, Le Monde horizontal convainc parce qu’il enchante et enchante car il convainc.

C’est peut-être cela le monde horizontal, un monde dans lequel une vision mythologique de l’espace a remplacé une vision mystique du temps.

Bruno Remaury, Le Monde horizontal, 2019, José Corti.

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