« Le Moulin sur la Floss » de George Eliot

Sur le bord de la Floss, les Tulliver exploitent un moulin depuis maintenant cinq générations. Tom, le fils ainé aux envies simples et terre-à-terre, est envoyé apprendre la grammaire latine et l’arithmétique. Maggie, sa petite sœur à l’esprit vif et passionnée de lettres reste elle auprès de ses parents. De temps en temps ils reçoivent la visite des tantes du côté maternel. Alors que la vie mène son cours apparemment tranquille il se pourrait bien que le caractère obstiné du père Tulliver ne vienne bousculer toutes les certitudes de ce petit monde. Et le drame se noue…

Le plaisir que nous prenons aujourd’hui pourrait très bien n’être que la perception vague de notre esprit las, sans l’éclat du soleil et l’herbe de ces années anciennes qui continuent de vivre en nous et transforment notre perception en tendresse.

George Eliot n’est plus aujourd’hui l’écrivain à succès qu’elle fut. Alors qu’un Dickens, écrivain exactement contemporain, est encore connu du grand public et fort lu, peu connaissent encore jusqu’au nom même de l’auteure anglaise. Désaveu d’une période de la littérature? Invisibilisation des œuvres de femmes? Aux réponses toutes faites et anachroniques à cet état de fait, d’autres, internes aux textes mêmes, offrent des explications certes moins « sexy » mais sans doute bien plus justes. Ainsi, dans Le Moulin sur la Floss, n’est-il pas fait mystère, du même allant, et de la situation structurelle d’infériorité dans laquelle sont laissées les femmes, et de la souffrance que cette domination patriarcale elle-même fait peser sur les hommes. De même illustre-t-elle aussi génialement et la charge délétère qu’implique toute convention et les facultés remarquables de ciment social que toute tradition suppose. La rigueur morale peut mener à l’épanouissement comme à l’étiolement des sentiments. Le social peut être un outil des intériorités comme leur fin. Rien n’est jamais simple chez George Eliot. Il ne s’agit jamais chez elle d’a priori démonter les arcanes d’une structure sociale ni, a fortiori, de prendre parti. L’œuvre d’Eliot n’est ni conformiste ni anticonformiste. Son objet est bien, par les mots, de donner forme au réel. Un réel sans fard comme sans fantasme. Dont les discours hauts tenus, les évidences comme les non-dits et zones d’ombre ne peuvent être décodés ou dévoilés que par un usage précis, rigoureux et inventif de toutes les outils du langage et de l’esthétique. Sans doute cette désaffection d’un public large est-elle aussi à trouver dans l’impossibilité inhérente à l’œuvre d’être rattachée à quelque idéologie que ce soit. Aux antipodes de la littérature « engagée » fort à la mode actuellement (et de son radicalisme souvent de pacotille) l’œuvre de George Eliot, parangon du réalisme, est un rappel génial de la magnifique complexité du réel. À lire et relire, encore et encore.

Mais pour les esprits fortement marqués par les qualités et les défauts qui créent la sévérité – la force de volonté, la conscience de poursuivre un but juste, l’étroitesse de l’imagination et de l’intelligence, une grande capacité de se maîtriser et une disposition à maîtriser les autres – les préjugés viennent naturellement alimenter des tendances qui ne peuvent tirer aucune nourriture de cette connaissance complexe, fragmentaire, incitant au doute, que nous appelons la vérité.

George Eliot, Le Moulin sur la Floss, Bibliothèque de La Pléiade, trad. Alain Jumeau

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