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« Le paysage » de Michael Jacob.

PaysageLe paysage ne va jamais de soi.

Alors que les initiatives se multiplient destinées à protéger le paysage, à en saisir l’identité pour la mieux protéger, Michael Jakob en questionne l’essence même, le dégageant des présupposés, des fausses évidences sous lesquelles la notion se dissimule.  Et tout de suite, dans le paysage, on se rend compte qu’il y va autant de ce que le sujet perçoit que de l’acte de percevoir.

Le paysage est donc le résultat hautement artificiel, non-naturel, d’une culture qui redéfinit perpétuellement sa relation avec la nature.

P = S + N.  Le Paysage (qui n’est pas le pays), c’est le Sujet additionné de la Nature.  Et dans l’histoire de la représentation de la nature se découvre un processus de distanciation irréductible entre le sujet et la nature.  Alors que la nature, chez Claude Lorrain, est triomphante, exubérante, mais avec une telle précision, une invention si marquée qu’elle ne peut plus être perçue que comme une émanation de l’homme, Monet, lui, la soustraira (la nature, la représentation du réel) à l’intellectif, la soumettant entièrement à la momentanéité de l’impression.

Ce n’est paradoxalement qu’au moment de sa soumission définitive à la volonté de l’homme, à l’ère de la révolution industrielle, que la nature apparaît dans sa forme nue (absence de figures humaines) ou sauvage (absence d’interventions humaines).

Le paysage naît de la nostalgie du sujet urbain, séparé de la nature, qui regarde la campagne comme un déraciné.  L’homme industriel qui consomme cette séparation (le paysage deviendra enjeu commercial comme un autre ; les papiers peints à motif paysagés, les panoramas naissent à la même période), l’homme industriel donc va faire alors inconsciemment disparaître la nature derrière le paysage.  Le divorce entre nature et humain est consommé quand l’interface qu’est le paysage est prise pour ce qu’elle représentait, à savoir la nature.  De P = S + N, on passe à P = N.  Le sujet lui-même oublie son rôle dans la constitution du paysage.  Et, en ayant oublié sa participation dans la constitution de cette image de la nature, il en oublie son statut d’image.

L’image ira jusqu’à remplacer le réel.

A tel point que dans notre logique actuelle passéiste, muséale de la nature, on veut contraindre le réel à ressembler à l’image qu’on s’en est fait et qui est tout entière détenue dans le paysage.  Alors que l’objectif avoué est de dégager la nature de l’emprise du sujet, la volonté actuelle de préservation du paysage l’y enserre encore un peu plus.  Et l’intérêt récent de certains pour le « paysage urbain », par exemple dans la littérature (comme chez Iain Sinclair), est souvent moins la marque d’une réconciliation de concepts divergents (ville – nature) qu’une volonté de déceler une irruption de la nature dans la ville, en focalisant l’observation moins sur l’urbain que ce qui paraît y échapper (ses banlieues ou plus typiquement encore, ses friches).  Comme une tentative de retourner au monde, au réel, d’échapper au tout-à-l’image, à notre destin conforme de fac-similé.  Tentative conjuratoire, un peu désespérée.

L’être-dans-le-monde a fait ainsi place à l’être-dans-les-images.

Michael Jacob, Le paysage, 2008, Infolio.

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