« Le rêveur méthodique » de Verena von der Heyden-Rynsch

 

Quand, en 1528, Henri VIII constitue un tribunal destiné à examiner la légalité de son mariage avec Catherine d’Aragon, il n’est pas certain que seul l’amour qu’il voue à Anne Boleyn soit en jeu. Catherine d’Aragon, veuve d’Arthur Tudor, frère d’Henri VIII, avec qui ce dernier est marié depuis 1509, ne parvient pas à lui donner un fils. Anne Boleyn, qui résiste depuis longtemps à ses avances, y parviendra peut-être. Faire reconnaître la nullité du mariage qu’il contracta près de vingt ans auparavant avec Catherine, tante de Charles Quint, permettra alors peut-être de donner un héritier mâle à la couronne anglaise. Mais, pour ce faire, il convenait de faire reconnaître aux autorités ecclésiastiques de l’époque la primauté de la conception  du Lévitique – il n’est pas autorisé de contracter mariage avec la veuve de son frère – sur celle du Deutéronome – le mariage est possible si aucun enfant n’est né de la première union. C’est dans ce contexte que vont être convoqués les plus grands esprits du temps. Dont Francesco Zorzi, un franciscain vénitien.

On passa d’un coup du thomisme scolastique médiéval à la pensée critique moderne. Les premiers signes d’une remise en question ou d’une réforme fondamentale se firent jour, le dogmatisme jusque là « indiscutable » de l’Église se trouva ébranlé par certaines interprétations vétérotestamentaires, de nouvelles voies confessionnelles se dessinèrent.

Francesco Zorzi (1466-1540) est né à Venise dans une famille de notables. Franciscain, il s’intéressa très tôt non seulement aux auteurs latins et grecs consacrés depuis longtemps comme à ceux que la mode renaissante alors en vogue permit de redécouvrir, Platon en tête, mais aussi à des domaines bien moins courus comme la kabbale ou les textes araméens. Néoplatonisme, langues grecque, araméenne, hébraïque, latine, études pythagoriciennes, kabbale, Saintes Écritures, toutes ses connaissances vont s’agréger et faire de lui tout à la fois le représentant paradigmatique de la seconde renaissance et l’un de ses initiateurs les plus influents.

En faisant découvrir au lecteur un personnage bien moins connu – mais tout aussi important – que Thomas More ou Érasme, l’auteure peut revenir de façon plus apaisée sur la complexité de l’époque. Non, la renaissance ne fut pas que la re-découverte de textes platoniciens. Non l’érudition du 16 ème siècle ne servait pas qu’elle même. Qu’un franciscain érudit défavorable à la Réforme prenne le risque de défendre un roi dans ses vélléités de divorce en s’appuyant aussi sur la kabbale juive en dit long certes sur lui mais aussi sur le temps qui le permet. Et aussi, comme par réfraction, pas mal sur le nôtre…

Verena von der Heyden-Rynsch, Le rêveur méthodique, Francesco Zorzi, un franciscain kabbaliste à Venise, 2019, Gallimard, trad. Pierre Rusch.

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