« L’eau se mêle à la boue dans un bassin à ciel ouvert » de Keith Basso.

L'eau se mêle à la boue dans un basin à ciel ouvert.Les lieux font autant partie de nous que nous faisons partie d’eux.

Un lieu n’est pas qu’un agrégat de pierres, de bois, de terres, de matières. Il se compose au moins autant des peurs, des souvenirs, des désirs que nos histoires y ont greffés. En cela les lieux des populations amérindiennes et les nôtres ne sont pas différents. La prise en compte, par contre, de cette inscription complexe et réciproque du sujet dans le paysage et du paysage dans le sujet, est bien différemment abordée et comprise selon qu’on est un apache occidental ou un bruxellois pur jus. Tout au plus pensée métaphoriquement chez le second, cette inscription mutuelle est à l’origine, dans le chef du premier, d’une construction ancestrale particulière et originale des rapports sociaux.

le passé est inscrit dans le paysage.

Rochers verts côte-à-côte qui saillent jusque dans l’eau, Chemin qui s’étend le long de rochers brûlés, Clairière circulaire aux fins peupliers, Elle porte son frère sur son dos, Saules gris forment un coude dans un tournant, Lézards qui s’enfuient par devant, Chemin vers la vie qui va en s’élevant : ce qui frappe à la première écoute des toponymes apaches, ce sont leur extrême précision et l’idée, par delà cette précision, qu’ils racontent quelque chose d’autre qui ne soit pas seulement destiné à les situer. Loin de représenter une transcription outre-atlantique d’un romantisme du lieu, cette pratique toponymique revêt en fait des fonctions inattendues…

Sans vouloir dévoiler trop de ce magnifique livre, ni donner l’impression de le résumer à gros traits, le procédé toponymique apache fonctionne à peu près sur ce principe : dans une assemblée, une personne autorisée va conter une histoire liée à un lieu pour rappeler indirectement à une personne présente dans l’assemblée que celle-ci transgresse un interdit, espérant que le message sera compris et suivi d’effet, le lieu dans le paysage fonctionnant alors comme un rappel éthique au yeux de tous.

les conteurs sont des chasseurs – et leurs récits sont autant de flèches qu’ils décochent.

« Parler avec les noms », soit parfois juste répéter des toponymes, et égrener les « histoires-mondes » qui sont liées aux lieux permet de soulager, de recadrer, de ré ancrer historiquement. La relation au lieu n’est nullement contemplative. Permettant une lecture spatiale de l’histoire et du lien social, le lieu, nommé d’abord par l’ancêtre puis par ses descendants, est l’occasion d’interagir sans cesse avec l’autre, en rappelant à la fois l’ancrage historique de la communauté, et ses exigences éthiques.

La sagesse réside dans les lieux.

Keith Basso ne se contente pas de relater sèchement les résultats et développements d’une énième aride étude. Si ses conclusions remportent l’adhésion, c’est autant grâce à sa rigoureuse inventivité qu’à son talent à la mettre en scène. Ainsi, ses « locuteurs-sources » (Duddley Patterson, Lola Machuse, ou l’inénarrable et facétieux Nick Thompson) nous deviennent, à nous lecteurs, moins des informateurs que des personnages d’une de ses « histoires-mondes ». A nous de les entendre…

il est préférable d’écrire au sujet du peu de chose que l’on croit connaitre que de se ronger les sangs face aux innombrables difficultés à connaitre quoi que ce soit.

Keith Bassa, L’eau se mêle à la boue dans un bassin à ciel ouvert, 2016, Zones Sensibles, Trad. Jean-François Caro.

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