« L’enquête » de Juan José Saer

je veux que vous sachiez dès maintenant que ce récit est véridique

Dans le 11ème arrondissement parisien, un mystérieux assassin agresse, viole et dépèce des vieilles dames depuis neuf mois. Pour tenter de mettre fin à ces terribles agissements, un commissariat spécial est mis sur pied, avec à sa tête le commissaire Morvan. Peu à peu, alors que le meurtrier reste tout aussi insaisissable, le cercle des ses méfaits se rapproche du commissariat. Tout cela nous est conté lors d’une conversation exotique en Argentine entre Pigeon Garay et ses amis. Entre l’histoire racontée par Pigeon, la difficulté qu’ils ont, lui et ses amis, à attribuer ou non un manuscrit à un ami auteur décédé, la redécouverte d’un univers abandonné par Pigeon il y a plus de vingt ans, le lecteur est balancé d’un espace fictionnel à un autre.

Évidemment L’enquête trouve son origine dans les préoccupations postmodernes du questionnement de la fiction. En ce sens, ni les questions soulevées, ni même sans doute les techniques par lesquelles ces dernières sont mises en oeuvre par l’auteur ne sont à proprement parler originales : floutage des repères de reconnaissance, feuilletage des plans fictionnels, prise à parti du lecteur, enchâssement des ressorts du drame dans ceux de la mécanique narrative, etc. Mais si le labyrinthe conçu par le romancier argentin ne tranche pas par l’originalité de ses méthodes, il marque en revanche par l’extrême précision avec laquelle il les utilise. Et c’est de cette précision même (celle du récit, comme celle de chacun de ses « personnages ») et de ce qu’elle laisse par devers elle (au plus vous êtes précis, au plus ressort cette impossibilité à épouser la totalité du réel) que naissent le plaisir et le vertige de la lecture. Du tout grand Saer…

Depuis le commencement, j’ai eu la prudence, pour ne pas dire la courtoisie, d’énoncer des statistiques afin de vous prouver la véracité de mon récit, mais j’avoue que, de mon point de vue, ce procédé est superflu parce que, du simple fait d’exister, tout récit est véridique, et que si on désire en retirer quelque signification il suffit d’admettre que, pour atteindre la forme qui lui est propre, il lui faut parfois se plier, grâce à ses propriétés élastiques, à certaines compressions, quelques déplacement et pas mal de retouches sur les images.

Juan José Saer, L’enquête, 2019, Le Tripode, trad. Philippe Bataillon.

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