« les Blanc, les Juifs et nous. Vers une politique de l’amour révolutionnaire. » de Houria Bouteldja.

Les Blancs, les Juifs et nous.

Je connais bien les gens de ma race.

La virulence d’un propos, les provocations qu’il articule, trouvent souvent leurs fondements dans une double logique. Placés là pour attirer l’attention, secouer l’auditeur, ils sont parfois vendus comme une simple mesure rhétorique, une forme d’extrême inverse d’un discours phatique, qui n’auraient d’autre objectif que de « marquer le coup ». Mais à l’analyse, ils trahissent bien souvent autre chose. Sous la logique de l’art du langage, se love insidieusement celle d’une volonté de convaincre de la légitimité d’un propos par le désamorçage même qu’implique de facto son énormité : « Ce que je dis est énorme. Certes. Mais vous comprenez bien que je ne le dis que parce que la situation est telle qu’elle nécessite un excès de langage ». Qui dit ne provoquer que pour « réveiller les consciences » s’exonère ainsi souvent à peu de frais de l’indigence des propos qu’il tient. Le procédé ne fonctionnant jamais aussi parfaitement que quand il se fait presque inconsciemment. On ne sait si cette volonté d’heurter fort fonctionna, pour Houria Bouteldja, comme un leitmotiv, comme une construction sur laquelle bâtir son récit. Son livre n’en demeure pas moins un très bel exemple…

Écrivant, de son aveu même – redoutable façon d’en désamorcer à l’avance la critique que de placer dès l’abord ce qu’on va dire sous l’aune de sa subjectivité -, de sa position de femme, immigrée, d’origine algérienne, musulmane, Houria Bouteldja brosse un tableau au vitriol de l’Occident (le Blanc en fait) dans ses rapports à la démocratie, à la question sioniste, au féminisme, à l’Islam, au « post-colonialisme », ou à l’immigration. Si nous pouvons évidemment la rejoindre sur certains constats : la main-mise d’une raison cartésienne, la suffisance que reflète l’idée « d’intégration », l’utilisation biaisée qui peut être faite des concepts de Shoah, de racisme, de tolérance, etc…, leur brossage à très gros(siers) traits nous parait plus problématiques. Quelques exemples  :

Enfoirés! Cessez de nous souiller. La manipulation n’a qu’un seul but : partager la Shoah, la diluer, déraciner Hitler, et le déménager chez les peuples colonisés et au final, blanchir les Blancs.

Pour résumer, le drame de la Shoah aurait donc ainsi permis aux « blancs », ces manipulateurs pervers, – l’antisémitisme est européen. Il est un produit de la modernité [sic] – de s’en dédouaner, sur ceux là même qu’ils continuent d’opprimer. Le Juif – dont l’objectif est de se « blanchéiser » [sic] -, étant en quelque sorte doublement dindon de la farce.

Last but not least, ils [l’ensemble du monde blanc] manifestent une solidarité de classe quasi unanime pour soutenir les DSK et compagnie et leur trouver les circonstances atténuantes les plus extravagantes.

On ne sait sur quelles statistiques se fonde l’auteure pour décréter de cette quasi-unanimité, mais il nous faut convenir qu’elle nous parait très lointaine de notre expérience. On pourrait lui rétorquer que quelques élucubrations télévisuelles – d’ailleurs âprement critiquées – ne suffisent pas à bâtir une unanimité, fût-elle quasi…

Je crois que le sens noir de la masculinité et de la féminité est bien plus sophistiqué que le sens occidental. 

La pertinence de cette citation de Baldwin – que l’auteur se fait sienne -, tout entière contenue dans la force du « Je crois » et les éclairages des concepts de « masculinité », de « féminité » et de « sophistiqué », nous semble édifiante…

Nous faisons partie du problème. […] Nous avons réalisé la prophétie blanche.

Quoi de mieux, pour désamorcer le brûlot de la culpabilité que l’on tente d’imposer à autrui, que de dire la ressentir soi-même. We band of brothers!

Hantées par l’idée d’un impérialisme forcément manipulateur et programmant tout de longue date, bâties entièrement sur des archétypes (Le Juif, Le Blanc, L’Arabe…), obsédées par un avenir forcément « barbare », la force et la pertinence à la fois du point de vue et de la radicalité de ce livre sont annihilées par les tombereaux de clichés qu’il véhicule. Alors oui, je l’avoue, je suis blanc. Et en plus blond aux yeux bleus. Et ne me reconnais nullement dans cette image que l’auteure peint de moi. Mais bon sang mais c’est bien sûr! C’est forcément cela! C’est précisément parce que je suis blanc et que je suis tel que dépeint par Houria Boutedja que je ne peux accepter cette image. Elle m’est trop douloureuse. Et comme le non psychanalysé ne peut critiquer la psychanalyse, celle-ci requérant son expérience de l’intérieur, c’est ma nature de « blanc » qui m’empêche essentiellement de me reconnaître coupable ou responsable de ce dont on m’accuse. Pire même, c’est cet aveu de ne pouvoir me reconnaître dans cette image là qui la rend vraie!

Aux grands récits racistes des Soral et Finkielkraut, elle fournit un puissant antidote : une politique de paix qui dessine les contours d’un « nous » décolonial, « le Nous de l’amour révolutionnaire. » [extrait du quatrième de couverture]

Un antidote est ce qui soigne et qui, appliqué à un poison, vient en neutraliser les effets. Le texte de Houria Boutedja n’est nullement un antidote. Il est un contraire. Un opposé. Loin d’apaiser les délires racistes des précités, construit sur des raccourcis inverses, il leur donne un contrepoint dont l’indigence sert à nourrir ce qu’il condamne. Il leur donne une haine où puiser et se renforcer. Le « nous » est censé réunir, assembler, fondre dans un but commun. Mais ici, il n’est que le nom d’un clivage. C’est un « nous » contre un « eux ». Et cet « amour révolutionnaire » n’est pas un objectif dans lequel ce « nous » pourra se réaliser. Il n’est pas le signe ou l’expédient d’une union, réunissant des contraires. Il n’est que l’amour DE la révolution. Le slogan, le porte-drapeau, d’un groupe auto-proclamé détenteur d’une Vérité à laquelle il s’agirait de déclarer son allégeance sous la peine d’en être déclaré un ennemi. Tout le contraire de l’amour donc!

Houria Bouteldja, Les Blanc, les Juifs et nous. Vers une politique de l’amour révolutionnaire. 2016, La Fabrique.

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(4 commentaires)

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    • Simon on 21 avril 2016 at 15 h 43 min
    • Répondre

    intéressante piste de contextualisation de la notion de « blanc » : http://www.montraykreyol.org/article/houria-bouteldja-ou-la-colere-lumineuse

    1. Si cette piste et cette mise en contexte du concept de « blanc » selon Genet, Fanon et consort est certes intéressante, sa mise en pratique par la « brillantissime Houria Bouteldja » l’est nettement moins. A fortiori si celui-ci n’est avancé (fort maladroitement dans son cas) que pour servir des buts qui sont bien moins « lumineux »… Ce que notre brève chronique nous semble avoir amplement relevé.

  1. faudrait renseigner Bouteldja sur l’histoire des juifs d’algérie.

    1. je pense qu’il faudrait la renseigner… tout court…

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