« Les enchantements de Glastonbury » de John Cowper Powys.

John-Cowper-Powysle monde de la conscience est plus réel que le monde de la matière.

La réception d’un texte, ou de son auteur, a parfois de ces tours et détours que l’analyse la plus attentive ne peut éclairer.  Ainsi en va t’il de ce roman comme de John Cowper Powys.  Paru en 1933, traduit en français en 1971, considéré par certains (en fait, ceux qui l’ont lu) comme un chef-d’œuvre, Les enchantements de Glastonbury reste pour l’immense majorité des « lecteurs avertis » (tiens, c’est quoi, un « lecteur averti »?) une inconnue.  Question de taille (l’objet pèse ses 1432 pages bien serrées)?  De qualité éditoriale (la densité de coquilles y est supérieure à celle mesurée dans un poulailler industriel)?  Ou de la différence radicale d’un texte qui le rend à ce point hors repères qu’il en devient irepérable?

Les processus de toute force créatrice sont compliqués, tortueux et arbitraires.

Dans la ville de Glastonbury, ancienne cité lacustre, liée à Joseph d’Arimathie, associée par beaucoup à la cité mythique d’Avalon de la légende arthurienne, vont s’affronter Philip Crow et Johnny « le sanglant » Geard.  Le premier est l’industriel de la ville, cherchant à développer ses entreprises, notamment en exploitant l’étain se trouvant en faibles quantités dans les grottes de la cité, le second, héritier d’une fortune considérable, cherche à asseoir Glastonbury comme un nouveau lieu de pèlerinage, rénovant la croyance en un Christ devenu très lointain de ce que lui y décèle, exploitant l’argile des grottes pour en façonner des figurines édificatrices.  Matérialisme contre mysticisme.  Pouvoir temporel contre pouvoir spirituel.  Confrontation universelle et éternelle sur laquelle viennent se greffer les tiraillements d’une époque (nous sommes dans les années trente) écartelée entre un capitalisme se débridant et un communisme n’hésitant pas à s’affirmer totalitaire.

Le meilleur amour est pur enchantement.  Mais le pur enchantement est âpre et farouche et stoïque, et l’homme afin de le connaitre doit avoir en lui une austère dureté.

Dans le creuset de ces luttes où chaque volonté cherche à se réaliser, où des saints naissent, des amours parfois « contre-nature » se nouent, où chacun souffre, vit, meurt, calcule ou aime mais où tous essaient, dans ce creux, ce sont ces luttes mêmes qui finissent par s’éteindre, s’étouffant dans le feu l’une de l’autre.  Ne laissant plus à nu que l’évidence de ce que le chroniqueur (ainsi que se désigne lui-même le narrateur) nomme, avec Aristote, la Cause Première.

Le langage des arbres est encore plus étranger à l’intelligence humaine que celui des bêtes et des oiseaux.

Que connaissons nous d’abord, si ce n’est ce qui affleure à la surface de notre conscience?  Quelle impression nous laisse d’abord (le d’abord de notre enfance ou celui de l’histoire des hommes) le soleil ou la lune si ce n’est celle d’un être animé?  A s’en défier sans cesse, à s’exercer à la répudier, la nature n’est plus devenue qu’un théâtre où jouer, une argile à façonner.  Powys redonne une voix au soleil, à la lune, au vent, à l’âme, au pou même.  Il mêle, dans ce Glastonbury-programme, l’animisme des premiers âges à la fascination technologique qui affleure alors, la légende arthurienne à l’aspiration communiste, l’ascèse et l’exubérance, la vérité et le mensonge.

Tout mensonge, je vous le dis, tout mensonge aussi longtemps qu’une multitude d’âmes croit en lui et porte cette croyance, crée une vie nouvelle, au lieu que l’esclavage de ce qu’on appelle la vérité nous entraîne vers la mort et vers les morts!

Sans recherche de forçage syncrétique, très loin aussi d’un prisme nietzschéen auquel d’aucuns le réduiraient trop rapidement, et par-delà un manichéisme auquel on aurait bien tort de le cantonner, Les enchantements de Glastonbury, mêlant les époques et les références comme les registres du langage en rendant compte, offre l’ampleur et la force d’un chef-d’œuvre.  Soit ce qui est fondamentalement autre et voué à le rester toujours.

Le miraculeux est lié à l’expérience de notre race humaine tout autant que la loi scientifique la plus communément acceptée.

John Cowper Powys, Les enchantements de Glastonbury, 1976, Gallimard, trad. Jean Queval.

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