« Les hommes et la poussière » de Elio Vittorini.

 

La route monte avec sa poussière, puis elle rencontre le vent, et elle court le long du ciel. Les cimes des montagnes apparaissent en contrebas, depuis cet endroit.

Il se passe, au sens courant du terme, peu de choses dans les nouvelles de Vittorini. Il y a Emilio qui rencontre une femme dans le tramway, qui la suit, mais avec laquelle « il ne se passera rien ». Il y a des hommes qui jouent aux cartes et évoquent leur pays. Il y a une jeune fille qui s’imagine vieillir auprès d’un homme qui la délaisse. Mais c’est dans ce « rien » que l’écriture de l’italien parvient à exhumer quelque chose, on ne sait jamais trop bien quoi, qui permet de bien mieux cerner ces existences et leur singularité que ne le ferait l’évocation de ce qui s’y déroulerait de plus marquant. Comme si, précisément, rien ne pourrait se détacher de chacune de nos vies qui pourrait les rendre notable qui ne soit exprimable autrement que par le langage. Que cette possibilité, être singulier, ne tenait qu’à cette condition, être exprimable.

Ce n’était que cela, comme cent autres fois dans une fin d’été : moi assis, un peu fatigué de ma journée, ma bicyclette appuyée contre le mur, mes outils posés à mes pieds, et sur la table un verre de seltz que j’avais commandé depuis longtemps, ,depuis longtemps je l’avais là pour le boire et je ne le buvais jamais. Il n’y avait rien d’autre dans cet après-midi-là, et pourtant c’est ceci et rien d’autre que je saisi de moi, si je veux saisir toute ma vie. Toute ma vie, serait-ce un après-midi à une table en été?

C’est quand il s’attache à ces riens, et à eux seuls, que Vittorini réussit le mieux, d’une part, à toucher au plus juste, au plus précis, et d’autre part, à faire de ses évocations toutes en ellipses des portes d’entrées vers l’universel.  Qu’il cherche par contre, dans un objectif politique, à les encombrer de didactisme, et le subtil équilibre s’effondre.

Tombe la neige, le monde change change. Quelqu’un qui se lève tôt, à sept ans, peut découvrir dans le monde ce qui a changé. Il voit le pur et le féroce, à perte de vue. Mais cela le temps d’un regard, juste une apparence. Ça ne résiste qu’un instant. Les hommes émergent des trous des maisons, et tout redevient comme avant.

Elio Vittorini, Les hommes et la poussière, 2018, Nous, trad. Marie Fabre.

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