« Les pouvoirs du sacré » de Hans Joas

Une science qui se comprend comme le dépassement de la foi et une foi qui se sent menacée par la science : c’étaient les deux faces d’une même médaille.

Une idée générale semble prévaloir dans l’espace intellectuel occidental, celui d’une sécularisation croissante du réel, d’une rationalisation toujours plus forte de notre relation au monde. En bref, le religieux disparaitrait peu à peu, le monde se désenchanterait. Cela n’étant pas la marque d’un progrès éthique ou politique dont l’homme serait le démiurge conscient, mais un fait anthropologique inéluctable et inconscient. Dans ce contexte, des évènements comme la vague islamiste actuelle ou l’expansion du pentecôtisme, par exemple, seront alors vues comme des sortes de retours en arrière, des anachronismes, des atteintes sans réel lendemain à une inexorable marche en avant de l’homme. Ces résurgences archaïques seraient les derniers soubresauts de la disparition irréversible du rituel sous les coups de butoir de la raison. Et du même mouvement, mais en miroir, il conviendrait de rechercher dans des mondes non occidentaux un rapport censément primordial au sacré pour contrebalancer l’impitoyable marche de la raison.

L’idée que le rituel serait quelque chose d’archaïque n’est explicable empiriquement qu’à condition de masquer des pans entiers de la réalité humaine. Il est peut-être possible d’envisager un avenir sans religion, mais est-ce aussi le cas pour un futur sans musique, sans danse et sans théâtre, pour évoquer quelques formes non rationnelles de communication humaine? Et un avenir sans intercation sexuelle, si l’on peut mentionner aussi ce point? Voulons-nous vraiment voir dans toutes ces formes de communication de simples étapes préliminaires dans l’évolution conduisant à la discussion rationnelle?

En explorant en détail, depuis Hume, en passant par Weber, Durkheim, James, Bellah, entre autres, les diverses modalités selon lesquelles religion et science ont construit des relations houleuses, Hans Joas pose une première question : une approche scientifique du religieux est-elle possible? Et, à travers les réponses à cette question, d’autres aussi déterminantes se font jour qui toutes cependant renvoient à l’obsession des sciences humaines pour la téléologie. De l’agir religieux à l’agir moral, de la magie au sacré, de l’immanence à la transcendance, du religieux au séculier, les conceptions anthropologiques, sociologiques, psychologiques ou politiques de l’histoire envisagent systématiquement celles-ci comme un processus hégélien. Ce qui échapperait alors à cette vision globale de la marche naturelle des choses serait vu comme une anomalie d’autant plus grave qu’en échappant à la raison, elle échappe, précisément, à la marche des choses. Car, selon cette conception, la raison EST la marche des choses.

En détricotant les liens qui organisent les sciences humaines et le fait religieux, le sociologue allemand donne droit à une vision du monde résolument plus complexe et réaliste. Et il permet de repenser autrement, certes le fait religieux, mais aussi le fait politique. Car, sous le vernis du traitement scientifique du religieux, son analyse permet de déceler et de dénouer les liens qui organisent la sacralité et le pouvoir. Et du même coup, ce sont l’irruption des nouveaux nationalismes ou radicalismes et la sacralisation de la personne et de ses droits qui se trouvent éclairées d’un regard neuf. Un livre essentiel!

Hans Joas, Les pouvoirs du sacré, Une alternative au récit du désenchantement, Le Seuil, trad. Jean-Marc Tétaz.

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