« L’État d’enfance » de Hervé Piekarski.

Pour ceux qui auront appris à l’écouter la musique contemporaine aura pu changer jusqu’à la façon dont peut se construire leur rapport aux choses. Indépendamment en effet de l’aspect strictement sonore auquel telle ou telle approche musicale contemporaine s’intéressera (le spectre, le rythme, la tonalité, etc.), leur point commun est d’accoler, en toute transparence dans un même objet – la pièce de musique – les linéaments de sa structure et les possibilités de le goûter esthétiquement. Plus prosaïquement, la pièce de musique contemporaine ne nécessite plus nécessairement un prérequis conscient et accessible auquel l’auditeur devrait se référer pour la comprendre et partant en profiter. Sa structure est décelée et goutée conjointement et dans le temps même de l’écoute. Se fabriquent ainsi, dans le temps de l’audition, un objet esthétique neuf et les mécanismes d’accès à celui-ci.

Après-midi d’été et fournaise à Miramas, 1967.

Comme toi, vêtu de l’intérieur par du bleu. Comme nos livres, férus d’une oblique de jamais plus le savoir car de la frayeur des portes qu’on ouvre à chaque fois sur du vide ils auront fait surgir la surprise finale d’une matière. Le renversement de la barque se produisit comme la rougeur sur les joues arrive sans crier gare et s’évanouit, loin d’avoir tout dit et indécise de son futur. L’idiome du vent quand il se refuse à souffler et donne à ressentir sa menace aux mains tremblotantes des vieillards presque morts de mon pays. Les yeux qu’on a cru voir nous regarder personnellement dans un film et qui soudain se sont levés pour voir plus haut et les tiges d’osier, les nappes et les serpents fuyants, cette vue assujettie à s’enfuir loin des ruisseaux, le concert dans la salle des fêtes et nos doigts qui traçaient des initiales dans la poussière recouvrant les bancs et à cause de cette poussière nous, et toi et moi parmi nous, que l’on força à rester debout devant le rideau de percale déchiré à chanter des hymnes qui aussitôt devenaient de l’air. En ces temps-là nos voix se préparaient comme le vent et tout dans le pays attendait, même les bêtes, même les objets dans les cuisines, même les toits de tôle qui grésillaient aux feux d’un soleil encore plus fort que le nôtre et qui impressionnaient nos regards tout comme en avaient peur les oiseaux qui s’en allaient.

Même si le langage, comparativement à la musique, est contraint par des caractéristiques sémiologiques et pragmatiques qui le corsètent plus fermement – il faut bien communiquer ou narrer et, toujours, la langue en porte les traces – , il est possible, si pas de s’en abstraire complètement, du moins de s’en dégager suffisamment pour créer des structures dont l’autonomie relative rappelle celle possible dans le champ musical. C’est, en quelque sorte, à ce travail que s’attache Hervé Piekarski dans ses États d’enfance. Ce dont provient le fragment, son historicité – ci-dessus, le souvenir d’un été chaud – , mais aussi les structures syntaxiques, mnésiques, dont dépendent sa possible énonciation sont dérangées. N’en subsistent plus alors, mais ad minima, qu’un souvenir et sa mention, toujours présents mais rendu lâches par l’acte de littérature. À charge alors pour cette dernière de bâtir quelque chose qui, sans jamais ramener aux structures dont cela provient, permet à qui la lit de saisir – en en atténuant les liens d’avec le réel tout en lui en créant d’autres internes à la littérature – ce qui en est fait.

Dans ces États d’enfance, le « ça dit quoi? » disparaît derrière la magie qu’exerce le « comment ça dit? », dont le « ça dit quoi? » dépend alors entièrement. À l’instar du compositeur contemporain qui invite l’auditeur à découvrir des structures et non à profiter d’une énième expression de celles établies – découverte dont dépendra son plaisir – , Hervé Piekarski envisage la poésie comme un espace de pure littérature. Avec une extrême méticulosité, il crée des structures de langage dont la beauté tient à la subtilité des arrangements qui les composent. Et qui, en ouvrant au lecteur des perspectives radicalement neuves, lui permettent, en faisant retour vers ce dont il avait délié les liens, de renouveler notre rapport aux choses.

Hervé Piekarski, État d’enfance III, Flammarion.

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