Lettre ouverte au jury du Prix Rossel.

suspiciousConstruire une réputation, pas à pas, n’est pas chose aisée. Pensez, par exemple, à l’abnégation et la continuité dans l’effort qu’il aura fallu à une Marine Le Pen ou un Bart de Wever pour incarner les désirs sournoisement xénophobes d’un peuple, ou à un constructeur automobile allemand pour s’imposer comme fournisseur de produits verts. Un ami noir ou une simple larme de commisération dans les premiers cas, une malencontreuse erreur de paramétrage de données dans le second, peut venir ruiner les espérances patiemment bâties. A leur grand dam alors, les politiques cités paraîtront communément bon enfant, et VW ressemblera à un vulgaire constructeur automobile allemand. Eh oui, un rien suffit…

Ainsi, autre exemple, nous. Un peu plus de quatre ans d’existence ont permis de nous imposer comme une librairie « ultra pointue », « élitiste », ne vendant « que des trucs chiants incompréhensibles ». On n’imagine pas toujours les sacrifices qu’il nous aura fallu consentir à cet effet : ne pas se laver les cheveux (le libraire « pointu » est réputé peu soigneux de sa personne), toiser systématiquement du plus haut possible chaque client potentiel, être désagréable par défaut (le libraire « élitiste » est réputé bougon et aigri de naissance), passer des disques de musique contemporaine au lieu d’un bon vieux jazz sirupeux, déchirer scrupuleusement tous les bandeaux qui nous parviennent, et surtout faire semblant de lire des trucs chiants et qui plus est faire semblant de les lire tous… Tous sacrifices, certes conséquents, mais qui ont permis d’asseoir internationalement une réputation que nous croyions solide. Et voilà ti pas qu’Emmanuel Régniez, notre ami, collègue, et néanmoins employé, se voit annoncé qu’il est finaliste du prix Rossel! Et d’un coup, le soufflé de notre crédibilité retombe sous le poids de l’opprobre!

Que le jury du prix Rossel, l’autoproclamé Goncourt belge, qui est à la littérature ce que Béatrice Delvaux est au journalisme, qui croit mordicus que le sourire en coin, les longs cheveux blancs et le foulard en soie suffisent à faire de vous un auteur *, qui ose faire concourir dans une même catégorie (littéraire qui plus est) Emmanuel Régniez et… Bernard Tirtiaux (qui est à la littérature ce que le galinacée est à l’orthodonthie), que donc cet inutile et nuisible ersatz de l’inutile et nuisible « jury de prix littéraire » ose ne fusse que penser à « couronner » (oh qu’une couronne peut être lourde à porter!) Notre Château, le brillant roman de notre ami, collègue, et néanmoins employé, nous ne pouvons le prendre, solipsiste que nous sommes, que comme une tentative de déstabilisation de l’édifice péniblement dressé par nos soins. Ne serait-il pas plus judicieux alors, chers jurés, de remballer fleuret et épée avant de se porter des extocades plus virulentes? Vous effacez cette nomination, pouf, d’un coup, et, hop, on n’en parle plus? Et nous, on dit que les prix, c’est vrai c’est tout caca, mais pas le Rossel? Et on se quitte bons amis, chacun toujours gonflés de son immaculée légitimité? Hein? Bon, oui, certes, vous me direz que l’ami, collègue et néanmoins employé en question pourrait tout à fait refuser le prix ou la place de finaliste. Et que, du coup, cela réglerait le problème. Voire même, ajouterait à l’image de radicalité de la librairie. Oui, bien sûr. Sauf que sa salle de bains aurait bien besoin des 5000 euros promis au vainqueur. Le portefeuille a ses raisons que le ridicule feint d’ignorer. Non, franchement, le plus simple, le moins douloureux pour nous tous, est que vous fassiez marche arrière. Hein?**

A défaut, il nous restera peut-être le plaisir certes malsain mais sans doute inédit de contraindre l’auteur ami, collègue et néanmoins employé, à déchirer lui-même le bandeau placé sur ses livres devenus espace commercial de SudPresse.

*à prononcer avec un « h » aspiré

**en attendant, on ne désespère pas qu’un chantage odieux- mais que nous tairons – entrepris auprès de notre ami, collègue et néanmoins employé, aboutisse…

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