« Lexique du verbe quotidien » de Bernard Charbonneau.

 

 

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Ainsi [les enseignants] seront entièrement absorbés dans le seul travail sérieux : dans l’examen des fruits d’un enseignement inexistant.

Écrites entre 1954 et 1968 pour le journal protestant suisse Réforme, ces chroniques rassemblées ici s’intègrent remarquablement dans la préoccupation d’une époque. Difficile en effet de ne pas y lire les liens ténus qui les apparentent, tant par leurs sujets que par leurs angles d’approche, aux travaux, à la même période, de Roland Barthes ou Marshall McLuhan. Détricotage des mythes bourgeois, intérêt pour le langage, nécessité de penser une technique sous peine de se laisser déborder par elle,… toutes préoccupations qui hantent l’entrée dans l’ère nucléaire de la possibilité de l’annihilation de l’homme par l’homme.

L’actualité n’est rien d’autre qu’elle-même.

Lexique du verbe quotidien est d’abord un redoutable et subtil décodage du lexique totalitaire, dont la durable et profonde emprise sur tous réside moins dans le pouvoir de mots d’ordre directement identifiables comme tels que dans celui que font peser d’autres, banals, mais qui en viennent à désigner, l’air de rien, l’exact contraire de ce dont on continue à les investir. Ainsi du mot « vacance » qu’on associe très rapidement à un autre : « liberté ». Alors que, précisément, il (le mot « vacance ») marque la dépossession de l’humain, par le cloisonnement devenu presque automatique de son temps, de pouvoir goutter la liberté à plein temps. Et qu’est ce qu’une liberté sous contrainte, sinon son contraire…

Car, dans notre monde, le temps des vacances est avant tout le parc national où nous enfermons cet animal dangereux dont l’homme n’arrive pas à se débarrasser : la liberté.

Dans un monde sans Dieu, mais surtout sans rien pour le remplacer, Bernard Charbonneau nous rappelle, avec une ironie douce mais sacrilège, à nos devoirs de vigilance. En décodant ce langage bourgeois, tout de dissimulation, enjôlant, flattant nos désirs inavoués de vies quiètes en les ensevelissant sous la tautologie et le lieu commun, il fait encore oeuvre de clairvoyance.

Le vrai bourgeois n’est pas l’homme de la possession mais du trafic. Il n’aime pas les choses pour elles-mêmes, même pas l’argent ; il ne s’attache qu’à leur valeur.

Sa lecture aujourd’hui, 50 ans après, tient à la fois de celle d’un oracle passé dont on peut vérifier les effets, et de celle d’un monde toujours à venir. Les temps changent, certes, la faiblesse de l’homme demeure. C’est cette pérennité qui la rend urgente.

Bernard Charbonneau, Lexique du verbe quotidien, 2016, Héros-limite.

Les sons ci-dessus sont issus de l’émission matinale de Radio Campus, avec Alain Cabaux, où nous officierons dès la rentrée, un vendredi par mois, en son indispensable compagnie.

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