« L’homme et la coquille » de Paul Valéry.

S’il y eût une poésie des merveilles et des émotions de l’intellect (à quoi j’ai songé toute ma vie), il n’y aurait point pour elle de sujet plus délicieusement excitant à choisir que la peinture d’un esprit sollicité par quelqu’une de ces formations naturelles remarquables qui s’observent ça et là (ou plutôt qui se font observer), parmi tant de choses de figure indifférente et accidentelle qui nous entourent.

Comme dit dès son entame – et son titre -, ce court texte de Paul Valéry n’a pas pour vocation d’éclairer un lecteur sur ce que serait une coquille, de lui en expliquer le « comment » ou le « pourquoi ». Mais, précisément, de lui donner à discerner, autant que faire se peut, ce que fait l’esprit quand il s’applique à « dire la coquille ». Non donc s’intéresser à la chose mais bien, à travers ou par-delà elle, ou, justement, en s’y intéressant « à fond », tenter de capter l’étonnement qu’elle provoque et l’impression de n’y pouvoir atteindre, par quelques moyens que ce soit. Dire est déjà compliqué, quant à dire une forme… S’intéressant à une chose issue d’un long hasard, d’une nature, d’un « faire » qui échappe à l’humain (quel que soit le nom dont on nomme le « processus » – « processus » étant déjà un nom parmi d’autres, et très marqué), il focalise notre regard et nous interroge sur la fonction de regarder. La coquille est ici le média et le révélateur de toute médiation.

notre savoir consiste en grande partie à « croire savoir », et à croire que d’autres savent.

Ecrit en 1937, ce texte d’une modernité saisissante – on croirait lire du Ingold -, parvient à conjoindre dans un même élan les possibles et les limites du langage. Et à capter, par l’art même du langage, à la fois ce qui nous éloigne irrémédiablement de toute chose et l’étrange beauté que nous conférons aux inutiles tentatives de s’en approcher, qu’on les nomme « science » ou « art ». Une coquille, chez Valéry, dissimule décidément bien des gouffres.

Paul Valéry, L’homme et la coquille, 2017, éditions marguerite waknine.

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