« Idiotie » de Pierre Guyotat.

 

c’est notre bonté, notre hantise d’y manquer, l’improfondeur de notre urgence à vivre, notre désir qui habillent de beauté cet intérieur monstrueux ; comme nous voyons du plein dans l’agrégat d’atomes, de l’Art dans un cafouillis de pensée, de forme, mis au point.

Pour faire simple, on pourrait dire que l’œuvre de Pierre Guyotat se compose de deux pans : l’un, dit romanesque, fait de tentatives et d’expériences formelles souvent extrêmes, l’autre, dit autobiographique, où l’auteur fouille son passé avec une précision presque maniaque. Pour faire simple toujours, on pourrait classer Idiotie dans le second domaine. Pour toujours continuer sur cette voie dite simple, on pourrait présenter ce dernier opus comme celui qui renseigne sans doute le mieux sur les origines biographiques du pan romanesque de l’Oeuvre : le conflit avec le père, la découverte de la sexualité, la guerre d’Algérie, la révolte, la mise au secret… Tous ces événements pouvant être vus comme formant une sorte de genèse des livres à venir.

c’est de la bête que je dois faire une œuvre, de l’idiot qui parle, du « rien », encore un peu de psychologie française, de « personnages » […], et bientôt l’épopée de l’idiot

Mais cette division, sans doute utile à brosser une première approche, est aussi une réduction. Comme l’est aussi toute tendance à jauger l’Oeuvre de Guyotat sous l’égide de la sexualité sous prétexte qu’elle y serait proliférante. Pierre Guyotat n’est un écrivain ni de l’autofiction ni de la « déviance ». Cet aller-retour entre deux pratiques, l’une qui détaillerait le réel, l’autre qui y bâtirait une fiction, n’est une trajectoire qu’en apparence. Il n’y a pas de trajet en tant que tel chez Guyotat. Il y a la volonté, livre après livre et toujours mieux, de saisir cette compénétration de « l’abstrait » et du « concret », et de la dire.

La prolifération de tout ce qui touche mon pied, mon regard, mon ouïe, mon odorat et à quoi je dois fixer un état, bref ou millénaire et plus, précipite mon allure et le battement de mon cœur ; je suis hors de Paris ; dans le parc de Sceaux, avant la tombée de la nuit, devant la rocaille du Petit Château, une image, touchable, de la confusion des règnes, de l’abstraction par laquelle il faut que je passe pour que l’être reprenne sa place en moi.

Plutôt qu’une genèse dont il s’agirait d’exhumer les traces d’un passé enfoui, le travail d’Idiotie semble, presque a contrario, démontrer qu’il n’y eu finalement aucun début. Que tout a toujours été là. Que Rien n’est pur. Esprit et corps. Réel et fiction. Abstrait et concret. Et que la tâche de Pierre Guyotat, depuis toujours aussi, se limite à la dire. Et c’est ainsi que se dévoile au lecteur un lieu qui ne parait trouver place nulle part ailleurs. Comme si c’était cette voix unique, aussi précise que libre, qui formait la seule possibilité d’accès à des franges entières du réel, qui, à défaut, resteraient inaccessibles. Et donc inexistantes.

En cela, Pierre Guyotat réaffirme que ce que l’on nomme « art » n’est jamais un filtre du réel mais l’une de ses conditions essentielles.

L’Art le plus grand, mais dont l’immortalité est d’autant plus ressassée qu’elle n’est pas assurée, ne tient que sur un sursoiement de l’urgence de vivre, de survivre qui crée le réel et nous y oblige

Pierre Guyotat, Idiotie, 2018, Grasset.

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