« Liscorno » de Jacques Josse.

Jacques JosseUne nuit, Celan est venu.

On ne compte plus les livres d’écrivains témoignant de leurs premiers émois littéraires.  Tour à tour tentative d’admiration ou simple bavardage, où se perçoit souvent la volonté d’exister soi-même, parfois à tout prix, en désirant se situer dans une histoire, en s’asseyant dans une continuité, l’exercice se révèle plus périlleux qu’il n’y paraît et, fréquemment, déçoit.  Dans ces témoignages, le témoin est souvent bien trop encombrant.

Rien de cela, ici.  Si le point de départ est bien la découverte des auteurs qui ont compté dans les débuts de la vie de Jacques Josse, ce dernier ne se limite pas à dresser catalogue.  S’il découvre bien Rodenbach, Verhaeren, Jack London, puis les auteurs de la Beat Generation, ou Michaux, ou Genet, et en fait part , l’exercice ne s’arrête pas là.  Ce n’est pas conter la découverte elle-même qui compte, mais les conditions de cette découverte.  Car ce sont elles qui marquent.  Il n’y a ainsi pas, à proprement parler, de découverte (au sens de celle d’un nouvel espace s’entrouvrant) d’un Verhaeren par un lecteur d’un petit village des Côtes d’Armor.  Jacques Josse, dans son petit village des Côtes d’Armor, qui lit Verhaeren c’est le ciel de Flandres qui s’invite en bordure d’Altantique.  Jacques Josse qui dévore Sur la route, c’est l’espace vaste d’une Amérique lue qui vient diffracter celui d’une chambre en soupente.  La réalité de la lecture fait fi d’un cloisonnement fiction/réel.  Elle est moins ouverture sur un nouvel espace que contamination d’un espace originel.  Et l’écriture qui en rend compte, sous peine d’en rater l’essence, doit employer les moyens mêmes que cette lecture engendre.  Liscorno est donc un monde d’embruns, de vent, de moissonneuse batteuse, de bars, de coups bus autant que d’histoires, entre vécu et fantasmes, de personnages, entre le grand-père, marin au long cours, et Jack London, qu’il plaît tant à son petit-fils lecteur de les avoir fait se rencontrer.

D’autres livres, en d’autres nuits, des livres ayant auparavant pris soin d’érafler les bordures des trottoirs, des livres aux mots extirpés par pincées de flaques sales où pas un ciel bleu n’aurait osé répandre ses reflets, des livres écrits il y a quelques décennies, dans des villes (Hambourg, Londres, Bruges, Anvers, Bruxelles) où plusieurs éclopés de l’âme ne cessaient de tirailler, d’étirer, de déconstruire, de réinventer une langue qu’ils savaient malléables à souhait, ont ensuite, et très vite, déserté les rayons vaguement encombrés des librairies pour se blottir et serrer leurs hivers, leurs plaines, leurs monts, leurs rues et leurs canaux de papier dans mon espace réduit sous la charpente.

Jacques Josse, Liscorno, 2014, Apogée.

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