« Logique & Vérité » de Alain Chauve.

 

Les Anciens avaient éprouvé quelques difficultés avec les propriétés logiques des propositions. Il leur semblait que la proposition « il fait jour », par exemple, était tantôt vraie et tantôt fausse : vraie le jour, fausse la nuit. C’était évidemment méconnaître que la possibilité qu’a cette proposition d’être vraie ou fausse est une propriété logique indépendante de l’heure à laquelle on l’énonce. Certes, si je dis qu’il fait jour alors qu’il fait nuit, ce que je dis est faux, mais la proposition que je dis, « il fait jour », garde la propriété d’être vraie ou fausse, qu’elle soit dite en plein jour ou en pleine nuit. De jour comme de nuit, la proposition « il fait jour » représente deux valeurs de vérité.

Il faut bien admettre que ce qui est dit ci-dessus des « Anciens » se vérifie encore pour partie chez les « Contemporains ». Du moins en effet dans le paysage francophone de la philosophie n’est-il pas rare de constater, quand on touche au secteur de la logique, que « réalités », « vérités » et « propositions » s’enchevêtrent dans un joyeux désordre. Et quand ce désordre ne produit pas simplement le désintérêt, il provoque dégoût ou moquerie. Il reste malheureusement banal que ce qu’on ne comprend pas nourrisse le rejet. Que celui-ci soit parfois professé par ceux-là mêmes qui prétendent lui bâtir des gardes-fous n’a de cesse de nous étonner.

Ça a détruit tout le plaisir que j’avais à écrire – je ne peux que continuer avec ce que je vois, et pourtant je sens que tout est probablement faux.

L’auteur s’intéresse ici à un moment précis de l’histoire de la philosophie. Alors que Russell, après avoir profondément revu ce qu’était la logique dans ses Principa Mathematica, tente de construire un fondement logique à la connaissance et à la pensée toute entière, il se trouve qu’un de ses étudiants, Ludwig Wittgenstein, conteste les bases mêmes de sa construction : la pensée ne s’exprime pas par la logique, cette dernière n’est qu’un système de signes. Mais cette affirmation, aussi radicale et novatrice que solide, plutôt que de créer une séparation définitive d’avec le réel, lui assure au contraire la possibilité – la seule possibilité – que soit tenu à son égard un discours vrai. Ce moment, cette confrontation de deux conceptions contradictoires, aura dès lors un impact considérable qui dépassera, et de beaucoup, le seul cadre de l’histoire des idées.

Avec la proposition « il pleut », je sais que si elle est vraie, alors il pleut, et que si elle est fausse, alors il ne pleut pas. Mais avec la proposition « il pleut ou il ne pleut pas »? Et pourtant cette proposition est vraie, mais elle n’exprime pas un fait. Y aurait-il donc dans la logique des vérités différentes de celles des propositions qui expérimentent des faits? Si oui, d’où viennent-elles? Comment sont-elles possibles?

En nous racontant par le menu ce tournant de l’histoire, Alain Chauve, en pédagogue aussi inspiré que rigoureux, permet non seulement à tout lecteur curieux d’approcher dans le détail la question de la logique contemporaine mais aussi, et surtout, de démontrer magistralement qu’elle est – et la philosophie analytique à sa suite – aux antipodes de l’image hors-sol ou déconnectée du réel à laquelle d’aucuns tentent encore de la cantonner. Après tout, à l’ère de l’ordinateur, de l’intelligence artificielle, et de la smartisation du monde, il n’est pas illusoire d’en rappeler les fondements historiques. Pour un truc aussi « déconnecté du réel », du réel, la logique des propositions en a créé pas mal…

Alain Chauve, Logique & Vérité, Le différend entre Russell et Wittgenstein, 2018, Démopolis.

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