« Lumière de l’intellect » de R. Abraham Aboulafia.

On ne va pas faire le malin, notre connaissance des textes philosophiques juifs se limite à peu près à ce qu’ils ont laissé comme influence dans la scolastique médiévale. Hormis quelques pages du Livre des égarés, nous n’avions jamais approché directement la pensée juive. Les quelques mots qui suivent ne sont donc aucunement à prendre comme une quelconque forme d’introduction à celle-ci. Tout au plus espérons-nous vous donner envie de vous y plonger, en non-spécialiste, et d’y trouver, comme nous, l’étonnement et l’émerveillement que peut procurer une pensée construite radicalement différente.

Et s’il se maintient toujours dans la foi reçue et non comprise […] il demeure dans sa sottise.

Dans ce livre irrésumable et insondable, et dont l’interprétation mériterait à elle seule plusieurs livres, Abraham Aboulafia, en bon kabbaliste, reprend bien les diverses sources traditionnellement utilisées par les penseurs juifs de son temps comme les sources juives elles-mêmes (Talmud, Midrach, etc.), celles des philosophes juifs médiévaux (Maïmonide est une référence constante) et celles des philosophes antiques (et principalement Aristote), mais en leur assignant comme une forme de torsion. Résolument mystique, dans l’acception courante du terme, Lumière de l’intellect paraît en effet par bien des aspects d’une modernité conceptuelle étonnante. Certes l’architecture même du livre est déterminée par une tradition (dont l’héritage numérologique n’est pas le moins déconcertant pour le lecteur contemporain), et son propos est intimement lié au théisme de l’époque auquel aucun assemblage théorique n’est censé échapper, mais la façon dont il articule les ingrédients dont il hérite donne à l’ensemble une destination bien moins traditionnellement théologique qu’il n’y paraît. Ou du moins est-elle tout à fait utilisable dans un cadre qui ne le serait plus nécessairement.

Dans l’intrication que vit le peuple adamique – dont il « universalise » peu ou prou le principe – entre le religieux et l’intellectuel, Abraham Aboulafia décèle dans le second une possibilité – et de la possibilité découle l’obligation – de valider le premier. Cette validité de l’intellect, tout à la fois, le distingue du religieux, et lui confère un rôle déterminant dans la réalisation du parfait programme de la croyance, dont ferait partie intégrante l’augmentation de la puissance de cet intellect. Autrement dit, là où, par exemple – mais sans l’y résumer – la scolastique chrétienne réserverait à l’intellect, via ses moyens, la charge temporelle de prouver Dieu, la pensée du natif de Saragosse l’enjoint avant tout à s’augmenter. Chez Aboulafia, l’intellect humain devient un acte pour lui-même…

R. Abraham Aboulafia, Lumière de l’intellect, L’éclat, trad. Michaël Sebban.

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1 Commentaire

    • Abraham Aboulafia (himself) sur 10 février 2021 à 15 h 45 min
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    merci de l’excellent et modeste note sur cet Aboulafia insondable qui – et pour rebondir sur un post infra – s’il n’a pas lu Kripke, Davidson, Putnam ou Recanati et les grands noms de la philosophie du langage du 20e, n’aura pas échappé à leur insatiable curiosité et gagnerait même à en être rapproché si le temps nous était donné de réfléchir un peu les choses à la différence des prophètes auto-proclamés de la philosophie « tendance ». Ptyx reste fidèle à sa rareté dans le vocabulaire de la librairie européenne. Merci.

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