« Mauvais temps » de Gérard Dubey & Pierre de Jouvencourt.

 

Comment en effet espérer une attitude plus responsable des acteurs sociaux vis-à-vis de la dépense énergétiques, plus de sobriété comme il est coutume de l’entendre, si les dispositifs techniques censés accompagner, soutenir, voire initier ces changements comportementaux contribuent par leur seule action sur la vie pratique à nous séparer encore d’avantage d’un réel auquel on pense se reconnecter, ou encore s’il induisent de nouvelles formes de subjectivités radicalement antinomiques avec ce qui est initialement espéré?

Des voitures intelligentes, des compteurs électriques intelligents, des frigos intelligents, etc. : en quelques années, les « solutions » proposées au problème de la « gestion environnementale » ont pris une teinte de plus en plus technique. Censés nous aider à poser les gestes environnementaux justes, voire à les poser à notre place, les outils technologiques « connectés », « en réseau », nous sont vendus comme une aide alors même qu’ils font partie du problème. Comment prétendre qu’un compteur électrique « en réseau » pourra résoudre quelque problématique écologique que ce soit alors même que sa fabrication, sa mise en place et son fonctionnement ne font que renforcer les déséquilibres qu’il prétend résoudre? Alors même, aussi et surtout, que sa seule idée nous enserre un peu plus encore dans le mode de pensée qui structure ce dont il convient de se détacher?

Les objets sont de plus en plus différenciés, nos gestes le sont de moins en moins […] Parce que l’objet automatisé marche tout seul, il impose une ressemblance avec l’individu humain autonome, et cette fascination l’emporte.

Plutôt que de revenir sur ce qui devient peu à peu une évidence, et faire semblant de s’en étonner, les deux auteurs se concentrent, d’une part, sur les mécanismes conscients et inconscients qui permettent ces propositions technologiques, et d’autre part, sur ce que leur prolifération engendre. Que dit de nous la confiance devenue souvent aveugle que nous concédons à l’objet technique dans l’organisation de ce qui peut pallier nos propres comportements? Et qu’engendre cette confiance? A confier ce qui nous reste de destin à la machine, n’en excluons-nous pas l’Autre?

Réaliste sans être pessimiste, lucide sans être technophobe, ce court essai se démontre redoutablement utile pour qui veut mieux comprendre – au lieu de s’en plaindre – les enjeux profonds des changements colossaux dont nous sommes les témoins. Et les acteurs…

En marge de l’augmentation exponentielle d’informations et de l’extension instrumentale de nos capacités sensorielles, c’est donc au rétrécissement de l’expérience située, en tant que fenêtre vers la possibilité de faire de l’aléa un allié, que nous sommes confrontés.

Gérard Dubey & Pierre de Jouvancourt, Mauvais temps, Anthropocène et numérisation du monde, 2018, Dehors.

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