« Microfictions 2018 » de Régis Jauffret.

Parfois je commence à dire une phrase qui s’arrête abruptement. Devant elle un précipice, le vide, le bout du langage et rien ne peut plus être dit. Une phrase en suspens qui en entier jamais ne sera pensée. En parole je touche la mort.

Un vie se limite à si peu de chose. Une éclosion d’on ne sait trop où dans un univers dont la plupart des occupants ont déjà saisi l’inutilité. Des années à subir l’ignorance. Quatre à cinq fois plus à souhaiter y retomber, tout en s’ingéniant à reproduire et soi-même et les clichés qu’on s’était jurer ne pas laisser nous guider. Le tout s’achevant dans une mort solitaire.

Je regarde la lune, le soleil. Je vois la population partir travailler, rentrer, s’aérer le dimanche. Les cheveux des passants blanchissent, les corps des sportifs se voûtent, les enfants poussent et ils sont déjà parents avec une grappe de mômes sur les épaules quand je tire les rideaux pour dîner paisiblement en tête à tête avec Béta, le chien de mon enfance, empaillé, éternel, qui m’observe en train de dévorer ma gamelle de son regard de verre. 

Microfictions 2018, ce sont 500 histoires d’approximativement une page et demie rangées par ordre alphabétique, de Aglaé à Zéro Baise. Dans chacune, Régis Jauffret nous convie au chevet d’une vie particulière dont il documente avec une précision au scalpel la déshérence. Sexuelle, sociale, spirituelle, cette déshérence, si elle se manifeste souvent sous des dehors qui peuvent paraître exceptionnels – le meurtre, la déviance perverse, le suicide, etc… – parait cependant toujours bien plus la conséquence évidente et logique du fait d’exister que celle du fait d’exister d’une manière particulière. Comme si le désarroi de ses « anti-héros » désabusés et dessillés nous renvoyait, par leur surenchère même, à celui que nous persistons à nous dissimuler à nous-mêmes. Sans fard aucun, par delà bien ou mal, ce qui nous émeut dans les êtres de Jauffret, c’est leur déchirante sincérité. Et si leur lecture nous interdit certes le confort de l’illusion, elle nous permet cependant – et ce n’est pas rien! – d’y puiser le plaisir lucide et joyeux de la cruauté d’un sort que nous partageons avec eux…

J’arrive même à m’enivrer de la joie qu’à chaque respiration j’éprouve d’exister. 

Régis Jauffret, Microfictions 2018, 2018, Gallimard. 

 

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